Petit Pays de Gaël Faye à la sauce Nyebwé

Publié le par Nguema Ndong

Petit Pays de Gaël Faye à la sauce Nyebwé

Ce texte a d’abord été publié sur ma page Facebook le vendredi 7 octobre 2016. Il faut préciser que ce n’est pas une chronique du roman, mais une transposition de l’action, du Burundi-Rwada vers le Gabon.

Je suis tombé par hasard sur l'album "Pili Pili Sur Un Croissant Au Beurre" de Gaël Faye, il y a trois ans. Je m’en suis énamouré. Son écriture était si littéraire et elle détonnait tellement de tout ce que l’on écoute habituellement dans le rap français à quelques exceptions près. Cet album a été en boucle pendant plusieurs mois dans mon baladeur et il m’arrive encore de l’écouter de temps en temps. Un fait rare, car les albums d’aujourd’hui sont à usage unique comme les préservatifs. Puis il y a quelques semaines, dans le Magazine Littéraire, je lisais une chronique dithyrambique de son roman "Petit Pays", par Alain Mabanckou, qu'il faut rappeler est d’abord le titre d’une des chansons les plus marquantes de l’album. De ce fait, je me suis évertué à me le procurer afin de poursuivre l’aventure en littérature après la musique.

Une fois le roman acquis, je me suis par conséquent mis à le lire. Une partie de cette œuvre si émouvante m'a surtout marqué. Lorsque le héros de l'histoire qui se prénomme Gaby, sa sœur et sa mère vont au Rwanda (en 1993), le pays d'origine de la mère qu'elle a été contrainte de quitter, en 1963, compte tenu des pogroms anti-tutsis, pour assister au mariage de l'oncle Pacifique qui par contre a quitté le Burundi pour rejoindre la rébellion tutsie du FPR. Ils sont tous folâtres à bord du véhicule de la tante de la mère, restée au pays, qui est accompagnée de ses quatre enfants. Heureux d’écouter le célèbre chanson Maria Valencia de Papa Wemba à la radio quand l’animateur commence à appeler à l’extermination des cafards (Tutsis), tout le monde se tait et la bonne humeur se dissipe. Quelques instants après, ils tombent sur un barrage de l’armée. Alors deux troufions armés de Kalachnikovs viennent les contrôler. Constatant qu’ils sont en face d’une famille tutsie, les militaires s’adonnent à cœur joie à humilier ces deux mères de famille en présence de leurs enfants, procédant par la même occasion à quelques attouchements licencieux sur la mère de Gaby.

Cette partie du roman me marque pour deux raisons. La première, c’est l’outrecuidance et l’impolitesse systémiques de certains troufions des républiques bananières et le Gabon n’échappe pas à cette règle. Parfois, vous êtes interpellé par un sapajou freluquet qui ne peut même pas tenir une minute "Mano a Mano" avec vous et qui partira de là a minima avec le visage bien bosselé. Mais comme Ali Bongo lui a donné une arme, il se voit pousser des airs de grandeur quitte à vous manquer de respect. L’uniforme donnerait donc quitus à ces troufions pour violer à leur guise les droits individuels de leurs concitoyens.

La deuxième raison, c’est le virus du tribalisme. Ce virus qui s’insinue dans un groupe pendant des générations pour faire partie de son ADN en rendant les préjugés ethniques ou tribalistes ataviques. Paul du Chaillu (1863) puis le Marquis de Compiègne (1876) ont dit au XIXe Siècle que les fangs étaient anthropophages, envahisseurs, perfides, etc. En 2016, on tient encore ce genre de discours. Il suffit qu’un fang fasse une action jugée damnable pour que cette doxa reprenne surface. Ndong Sima, Milama Mintogo et Ella Nguema, qui à eux trois, ne représentent même pas le tiers de l’électorat fang, décident de féliciter Ali Bongo pour sa parodie de réélection, alors on oublie que Ping qui n’est pas fang a fait son meilleur score au Woleu-Ntem, on verse dans l’amalgame. On s’attaque à tout le peuple fang. Toujours les fangs ! Quand on sait également que la plupart des victimes de la répression des escadrons de la mort d'Ali Bongo à Libreville à la suite de la proclamation des résultats de la présidentielle portent des noms fangs. Dans le même temps, il n’est pas rare d’entendre à un poste de contrôle, « ce sont les fangs qui veulent déstabiliser le Gabon ».

Les hommes politiques ne sont pas en reste, au contraire. Ils agitent aussi à leur niveau le chiffon du tribalisme. C’est l’effroi qui nous envahit lorsque pour contester les résultats de Jean Ping, Ella Nguema avance qu’il est inadmissible que Jean Ping obtienne autant de voix dans une province qui n’est pas la sienne (Woleu-Ntem). Personne à la Tour de Pise ne lui fait le reproche du caractère régionaliste de son argument.  C'est le même choc que l'on perçoit quand Billé By Nze et consorts sont fiers de dire que les 95% de voix attribuées à Ali Bongo au Haut-Ogooué par Aboghe Ella sont le résultat d'un repli ethnique. Pis, le nouveau génuflecteur d’Ali Bongo le bien nommé Bruno Ben Moubamba se permet sans aucune retenue de traiter son contradicteur sur Facebook de "sale Pahouin".

Alpha Blondi chantait dans l'album Yitzhak Rabin, « bombe tribale, bombe coloniale, comment allons-nous faire pour la désamorcer ? La démocratie bananière finira par la guerre civile ». Je ne souhaite pas au Gabon le même sort que le petit pays (Burundi) de Gaël Faye. La guerre, on sait quand elle commence, mais on ne sait pas quand elle se termine. Néanmoins, il est temps que l’on sorte nos démons du placard. Cette haine latente que l'on garde en nous, mais en optant pour la stratégie de l'autruche finira par exploser un jour et ce sera la guerre civile comme le chantait toujours Alpha Blondi. À croire que nous voulons subir les affres de la guerre civile avant de trouver une solution au problème séculaire du tribalisme au Gabon. En fang, on dit, « Mong a kî nkong kena ayo wo », la traduction littérale donne, « L’enfant ne cesse pas de manger la chenille tant qu’il ne l’a pas vomie ».  

Me kigui nte’m me ber’adzôm !

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