INTERVIEW D'ODOME ANGONE

Publié le par Nguema Ndong

INTERVIEW D'ODOME ANGONE

Pour le compte du magazine Brain 241, j’ai envoyé un questionnaire à Madame Odome Angone pour la rédaction de son portrait. Le retour était si riche en enseignements que j'avais voulu partager l'intégralité de cet échange dans ce blogue.  

Quel est votre nom à l’État civil ?

ODOME ANGONE

De quelle ville êtes-vous originaire ?

MITZIC, chef-lieu du Département de l’Okano dans le Woleu-Ntem.

Quel est votre parcours scolaire ?

J’ai fait le préscolaire et le primaire à Mitzic, puis le secondaire à Libreville. Quant aux études universitaires, je les ai faites principalement à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar jusqu’à l’ancienne Maîtrise (ce diplôme a disparu avec le nouveau système LMD). Puis, je suis allée en Espagne pour le troisième cycle que j’ai achevé en 2012 à l’Université Complutense de Madrid par une thèse en philologie espagnole. J’ai donc un doctorat en philologie espagnole.

Quel est votre parcours professionnel ?

Sur un plan strictement lié à mon cursus académique, je suis enseignante-chercheuse à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ce qui fait de moi une fonctionnaire de l’Etat sénégalais. Sur un plan culturel et touristique, j’ai aussi initié des choses. D’ailleurs, je souhaiterais ouvrir une activité dans le domaine de l’industrie culturelle au Gabon. On verra bien comment organiser tout ça…

Pourquoi enseignez-vous au Sénégal et non au Gabon ?

Nul n’est prophète chez soi, dit-on… Entre 2012 (date de ma soutenance de thèse) et 2015, j’ai passé une année au Gabon (2012-2013) et une autre (2013-2014) à nouveau en Espagne. En fait, je suis rentrée (au Gabon) fin 2012 dans l’idée de travailler à l’Université publique de Libreville (=UOB), mais pour des raisons purement arbitraires (= tribalistes), au sein du Département des Etudes Ibériques, je ne fus pas recrutée. J’en garde un souvenir amer que je ne trouve plus productif de relater aujourd’hui. Disons que j’ai tourné cette page… Toutefois, cette expérience a eu le mérite de m’aider à relativiser le sens que je donnais à une patrie d’une part. Cela m’a aussi permis de me rendre compte que la compétence peut s’exporter partout où nos services sont sollicités, d’autre part.

Aujourd’hui, je vis au Sénégal et j’y travaille. Avec un peu de recul, sans snober les institutions académiques de mon pays d’origine, pour des raisons liées à ma carrière, je crois qu’il est plus reluisant, bénéfique et compétitif de travailler au sein d’une Université comme Cheikh Anta Diop que se terrer dans une Université qui ne figure pas dans le ranking des meilleures universités francophones… J’avoue qu’avec beaucoup de satisfaction, l’Université de Libreville m’a rendu un bien grand service en ne me recrutant pas, la crispation ambiante qui y règne n’est pas favorable à une éclosion intellectuelle. J’ai trouvé à l’UCAD une plateforme de performances propice. Et cette impression n’est pas ressentie qu’à l’UCAD, Dakar est un boulevard d’opportunités inépuisables. Il y a toujours quelque chose à voir, à faire, une expérience à vivre ici. C’est vraiment une ville agréable qui bouge, un lieu incontournable en Afrique subsaharienne où vous pouvez rencontrer tout le monde. De plus, plusieurs rencontres internationales y ont lieu chaque semaine, chaque mois, c’est admirable. Le Sénégal me démontre que la première richesse d’un pays ne réside pas dans son sous-sol mais dans la gestion de ses ressources humaines. Sur le plan professionnel, c’est un pays qui m’a ouvert ses portes sans condition lorsque « mon pays » m’en a fermées sans raison valable… Le Sénégal est un pays plein d’audaces et cette audace porte des fruits palpables qui ne se réduisent pas qu’aux maquettes ni aux rêveries indolentes de certains gouvernements issus de l’espace francophone subsaharienne. Aucun pays n’est parfait bien entendu. Mais l’essentiel y est. La sécurité, je la trouve ici. On peut sortir tard et ne pas systématiquement craindre pour sa vie… La stabilité politique attire plusieurs investisseurs. L’humilité et la courtoisie des gens ici m’impressionnent. Je crois que comme gabonaise, j’apprends beaucoup de ce pays et de ses habitants…

Comment êtes-vous arrivée à la littérature ?

Je découvre la littérature très tôt, par la philosophie des contes et récits, par la poésie des chants traditionnels de mes grands-parents, les proverbes de la langue fang et surtout par le mvet-oyeng qui est pour moi la plus belle des littératures. Puis par mes parents, des enseignants de formation, mon père est un inspecteur pédagogique à la retraite et ma mère une enseignante dans le préscolaire, à la retraite également. Hormis cette réalité familiale et familière, mon cursus et ma profession me lient à la littérature, la philologie étant la science par excellence qui étudie les langues à travers leurs littératures.

Quelles sont vos différentes œuvres ?

Roi-dieu coupé (2013) est mon premier roman publié. Il s’agit d’une œuvre de fiction. Mais, comme enseignante-chercheuse, dans un registre académique, je fais plutôt des publications scientifiques à travers des ouvrages collectifs qui circulent la plupart dans des circuits universitaires. Après RDC, une nouvelle publication personnelle qui sera cette fois un essai, devrait arriver d’ici quelques mois, courant 2018 …

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Pour le fond, c’est-à-dire l’histoire ou les anecdotes racontées, je m’inspire souvent des faits de société, des histoires vécues, des expériences périphériques, des flash-backs, des conversations anodines, etc. Pour la forme, c’est-à-dire, la poétique du français que j’écris, je m’inspire beaucoup du fang. Traduire des réalités vécues en langue fang me permet d’enrichir le français, de lui donner de nouvelles couleurs, de contribuer à ensemencer la rencontre des cultures et des langues en contact. Je crois que c’est une expérience que des écrivains africains partagent tous, puisque nous naviguons constamment entre diverses langues…

Parlez-nous de votre roman « Roi-dieu coupé »

Roi-dieu coupé en abrégé RDC est une fiction romanesque qui relate l’histoire d’un groupe d’étudiants en grève à Loango, un pays fictif (du nom d’un royaume précolonial qui exista dans la zone de l’Afrique équatoriale jusqu’en 1884/5). Ce groupe d’étudiants va s’inspirer de la technique de communication d’un « fou » appelé Le Maréchalat du Roi-Dieu pour en venir à bout du régime répressif (qui tient leur pays en otage depuis les Indépendances). Mais, ils vont adapter la technique de com en diffusant, en simultané sur les réseaux sociaux, la grève qui va faire sauter ce régime autocrate… RDC est, de ce fait, un hommage à Ondo Mba qui nous a quitté en 2013, je crois. Ondo Mba était un marginal atypique qui a vécu plusieurs années à Libreville. Il est connu pour les messages contestataires avec lesquels il parsemait les grandes artères de la capitale gabonaise. Je trouvais dans son écriture une remarquable dérision et une satire perspicace sur les problèmes conjecturels vécus dans nombre des pays subsahariens. RDC mérite d’être lu tout simplement… La double lecture de RDC traduit la fin tragique d’un hyperprésident qui se croyait Maréchalat (parce qu’il était le chef suprême des Armées), Roi (donc chef-monarque à vie), Dieu (car ayant eu durant son règne, droit de vie ou de mort sur des citoyens dissidents) et … RDC veut donc dire sarcastiquement, la fin tragique et brutale d’un monarque parce que nul n’est immortel et qu’aucun système, aussi tyrannique fût-il n’est infaillible ni éternel…

Sur la couverture dudit roman, on voit un masque gabonais, quel est-votre rapport à la tradition ?

Il n’y a pas d’arbre sans racines. Naitre quelque part et en avoir la pleine conscience donne du contenu à une existence. Je suis partie du Gabon à 21 ans, à un âge où j’avais suffisamment de maturité pour recevoir des enseignements sur divers plans dont la tradition fang. Le masque ngil qui apparait sur la couverture de mon roman appartient à une société secrète fang du même nom. Il symbolise la justice rendue à l’histoire que je relate dans le roman. Il symbolise aussi la libération d’un peuple injustement malmené par un dirigeant anachronique… Le fait de l’avoir photographié à moitié en laissant l’autre moitié dans l’obscurité traduit le mystère et l’imprévisible de la vie parce que rien n’est définitif même lorsqu’on tient les choses pour acquises…

Après vos études en Europe, vous enseignez au Sénégal, quel est votre lien avec le Gabon ?

Un lien familial. Je m’y rends assez souvent, au moins une fois l’an. Je vis certes entre Madrid et Dakar et davantage à Dakar depuis un moment mais le Gabon c’est chez moi, même si « je suis devenue plusieurs pays ». Je suis liée autant à l’Espagne, au Sénégal qu’au Gabon, car chacun de ses pays a forgé ce que je suis devenue. Je me sens fille de ces trois pays même si, par choix personnel, j’aime me déplacer avec le passeport gabonais parce que le Gabon est le pays où sont logés les souvenirs de mon enfance et où vit ma famille. Et pour moi, le Gabon est le plus beau pays du monde. On a tout pour y vivre à l’aise mais …

À tort ou à raison, une vulgate enseigne que les Gabonais n'aiment pas lire. En tant que femme de lettres et enseignante, quelles peuvent être les solutions pour pallier ce problème.

Pour y remédier, il n’y a aucune potion à boire, ni aucune magie à faire, il faut abattre un travail rigoureux tout simplement. Les Gabonais délèguent trop souvent tout à l’Etat. Or, ses limites sont visiblement évidentes…Sur le plan institutionnel, des initiatives de proximité peuvent pallier ce problème très rapidement, par une politique réaliste accordant de l’intérêt aux projets et initiatives liés à la lecture : 1. On peut construire des bibliothèques publiques municipales (au sein de chaque arrondissement). 2. Favoriser l’entrée des livres importés en subventionnant ces ouvrages ou en baissant les taxes y relatives pour que le livre coûte moins cher sur le marché. 3. Booster l’industrie du Livre local en accompagnant/encourageant les initiatives déjà en cours. 4. Laisser chacun faire son travail. La politique a miné tous les secteurs du pays faisant « des borgnes des rois au pays des aveugles » …

Le vrai problème de l’apparent désintérêt de la lecture par « les Gabonais » réside, à mon avis, dans une question stratégique de communication politique de masse. Libérer le secteur du Livre à travers les pistes que je viens d’énoncer, donne l’accès à la connaissance et favorise de facto un esprit critique chez les citoyens lambda, ce qui n’est pas favorable aux apologètes de la censure … Bref, il y a vraiment un vrai travail d’éducation populaire à (re)faire au Gabon ! En l’absence de rigueur et de références, des usurpateurs de tous acabits et des gourous aux compétences douteuses se sont érigés en modèles et le résultat est là, on vit une perte de repères à tous les niveaux, avec une « cobolisation » de la jeunesse…

 

Il y a aussi une part de responsabilité qui incombe entièrement aux citoyens en tant qu’individus matures, autonomes, capables de rigueur et de discernement au sein d’une société. De nos jours, l’on est prêt à débourser des sommes faramineuses pour s’acheter, par exemple, le dernier smartphone ou de se procurer des cheveux artificiels ou encore de dénicher la maroquinerie des plus grandes marques françaises. En revanche, peu sont disposés à investir sur la connaissance en achetant le dernier livre de tel ou tel écrivain, pour la simple raison que l’on vit désormais au sein d’une société où le culte de l’apparence a pris le dessus sur la culture de la connaissance. Lire un livre relève d’un acquis « abstrait », une richesse « immatérielle », parce que « ça ne se voit pas », ça ne s’apprécie que lorsqu’un individu prend la parole pour livrer un message. Or l’image est l’ellipse du langage, en des termes simples, disons que l’apparence est la première porte d’entrée vers l’autre, une sorte de vitrine où souvent, l’habit ne fait pas toujours le moine et les apparences s’avèrent fort trompeuses...

Les auteurs locaux sont mal connus, que faites-vous pour vulgariser vos ouvrages ici au Gabon.

Sans vouloir snober le Gabon, ce pays n’est pas mon seul pays de référence lorsque j’écris. La littérature par définition est l’espace par excellence de l’extraterritorialité, un lieu sans lieu, c’est-à-dire un endroit sans frontières où votre texte peut atteindre un lectorat aux antipodes de votre géolocalisation physique… Plusieurs africains et pas seulement des gabonais sont frappés de censure (je ne dis pas que c’est mon cas) dans leur pays d’origine pour plusieurs raisons et trouvent un lectorat là où ils ne s’y attendaient même pas… C’est cela la magie de la littérature, un univers transfrontalier sans limites. Pour ma part, au Sénégal où j’enseigne, je trouve une plateforme d’expression assez ouverte ou encore, en France, aux Etats-Unis, en Espagne, lorsque je voyage souvent pour des collaborations universitaires.

Notez qu’il y a plusieurs types de lectorat, un lectorat spécialisé qui est universitaire et qui publie des ouvrages et ne médiatise pas systématiquement ses travaux sur les réseaux sociaux… Puis un lectorat plus varié, composé d’amateurs et divers aficionados qui, eux, lisent pour le plaisir… Je dois toutefois vous avouer que lorsque j’étais au Gabon, durant mon année de « chômage » avant d’être recrutée au Sénégal, j’ai eu l’opportunité de partager mon livre avec des élèves de certains établissements scolaires à Libreville. D’ailleurs, une des profs, Yvette Gracia Essongue que je considère, spécialiste de mon ouvrage, pour l’avoir analysé d’une façon remarquable, vit au Gabon.

Libre propos (si nous avons oublié d’évoquer un sujet, vous pouvez le faire):

Je ne suis pas amante des conseils, parce que je me considère apprentie. Un enseignant est un éternel étudiant qui chaque jour apprend. Et je préfère prendre note que de m’ériger en donneuse de leçons. Toutefois, permettez-moi, en toute humilité de dire aux diplômés gabonais de ne pas se focaliser que sur le Gabon pour trouver du travail. J’encourage personnellement les jeunes gabonais qui ont commencé à se lancer dans des professions libérales. Maintenant, je côtoie une nouvelle génération pétrie d’ambitions, des artistes qui assument leur choix, des photographes et vidéastes qui gagnent très bien leur vie sans complexe, des paroliers qui vivent de leur art en tout professionnalisme. Des danseurs/danseuses qui s’organisent très bien. Je suis admirative de cette génération résiliente qui ne baisse pas les bras malgré tout et qui ose sortir des sentiers battus pour vivre par elle et pour elle. Ces gabonais n’ont rien à envier à d’autres africains que je rencontre sur le continent, à Abidjan, Dakar, Lagos, Lomé. Ils ne rêvent pas systématiquement d’aller en Europe, ils savent que l’Afrique est en marche, une terre d’opportunités et d’avenir. C’est pourquoi je ne peux que féliciter votre magazine qui est une initiative gabonaise novatrice à encourager d’autant que vous offrez un autre visage du Gabon aux Gabonais(es). Je vous remercie pour l’intérêt accordé à ma modeste personne. Bonne continuation.

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