Cours plus vite que le bidasse

Publié le par Nguema Ndong

Cours plus vite que le bidasse

Ce texte est écrit en hommage à un compagnon d’adolescence qui nous a malheureusement quittés il y a quelques années. L’As Damon avec qui je rappais souvent dans mon village. Pendant que nous voulions jouer les rappeurs français, lui, il avait compris très trop l’importance d’utiliser le fang. Il aimait dire : « Je m’appelle Damon, je n’ai pas le temps de quelqu’un ». On le taquinait avec cette phrase. Chaque fois que je pense à lui, je ne peux m’empêcher de la répéter.

L’avènement du nouveau coronavirus, appelé Covid 19, a conduit le président de la République Ali Bongo Ondimba à instaurer un couvre-feu chaque soir. De 19 h 45 à 6 h, les gens doivent rester confinés dans leurs domiciles. Les forces de l’ordre et de défense sillonnent les rues afin d’assurer l’effectivité de cette mesure. Certains la respectent quand d’autres n’en font qu’à leur tête. Au Gabon, la défiance de l’autorité du résident du Palais de la Rénovation est un sport national. Peu importe la pertinence de sa décision, on trouve toujours matière à contestation. Parfois, on se fabrique des raisons pour contrevenir à ce qu’il a mis en place. Cet état des choses provoque quelques échauffourées entre hommes en uniforme et les citoyens. Cette situation me rappelle une scène que j’avais vécue avec des frères et des sœurs de mon village, à Oyem, en 1999. Il n’était pas question de couvre-feu à l’époque, mais de simples patrouilles pour les contrôles d’identité. Malheureusement, l’excès de zèle des militaires donna une autre tournure à l’histoire.

Une de mes nièces organisait une fête chez elle et je m’occupais de la musique. Nous étions mineurs pour la plupart, alors c’était sans alcool et sans fumée. Aujourd’hui, une telle éventualité serait perçue comme une hérésie. En tous les cas, nous passâmes un bon moment à crier et à danser, car soumis à l’ivresse d’être entre nous. Nous étions au début des vacances scolaires, certains s’apprêtaient à voyager et les autres allaient rester dans le village, à musarder, en attendant l’arrivée des cousins et des cousines de la capitale. Ce soir était comme une sorte d’au revoir. La débauche d’allégresse noyait le spleen à venir. En cette période, les soldats de la 2ème Région Militaire d’Oyem, par ailleurs stationnés pour une partie dans notre village, patrouillaient dans la ville. On n’y signalait aucun trouble particulier pour que les forces de défense se substituassent à la police pour mener ce type de missions. Comme souvent, dans les villes de province, ces troufions excellaient dans des abus en tous genres.

Tous ceux qui avaient croisé la route de ces soldats racontaient les différentes brimades qu’ils avaient subies. L’insouciance de l’enfance et de l’adolescence nous amenait à rire de cela, alors que nous étions dans une situation flagrante de violation de droits individuels. Les miliaires ordonnaient aux citoyens, qui avaient eu le malheur d’oublier leurs pièces d’identité à la maison, à s’allonger dans des caniveaux insalubres et à répéter à tue-tête : « nous sommes les crocodiles, nous sommes les crocodiles ». Ils n’avaient aucun respect pour les civiles. Nous n’étions que des mascottes ou des marionnettes qu’ils utilisaient pour satisfaire leur cynisme. Sans la moindre précaution sanitaire, aucun désinfectant au kilomètre carré, ils rasaient les têtes et les sourcils des gens avec les mêmes lames. Ils appelaient cela « la coiffe du serpent ». Avaient-ils le souci d’une propagation des maladies ? Je ne crois pas. Seule l’envie d’humilier les populations les motivait. Je me souviens d’un qui nous avait, fièrement, raconté comment il avait couché avec une femme parce que celle-ci ne voulait pas perdre ses cheveux. En d’autres termes, il nous relatait un viol. Et que dire de tous les coups de crosse de fusil, des gifles, des passages à tabac, des punitions, etc. Par conséquent, le bon sens nous commandait de nous cacher ou de fuir, systématiquement, à la vue d’un camion de militaires. Peu importe que l’on ait ou pas de papiers d’identité, il fallait les éviter.

C’est dans ce climat quasi anxiogène que nous prîmes l’engagement, à la fin de notre soirée, d’aller acheter du pain à la boulangerie dans un quartier voisin, Eyene-Assi. Ce qui occasionnerait une marche d’environ deux kilomètres. C’était une vieille habitude dans notre village. Des générations avant nous le faisaient déjà. La période des retraits de deuil n’étant pas encore arrivée, il fallait trouver des modes de distraction saine. Il n’y avait pas beaucoup de loisirs à Oyem. On survivait avec les moyens du bord. Ainsi, à quelques mètres de ladite boulangerie au lieu que l’on nomme « Carrefour Douane », nous aperçûmes un camion Mitsubishi Canter qui revenait de la ville à vive allure. Nous ne nous posâmes pas de questions sur l’urgence qui pouvait motiver ce type de véhicules à rouler à tombeau ouvert à pareille heure. Il était minuit et malgré le fait que cette voiture prenait la route qui mène au camp militaire, nous demeurions insouciants. Seuls les pains chauds que nous allions manger attiraient notre attention. Rien ne semblait pouvoir contrarier notre bonne humeur puis éteindre nos fous rires.

Une fois que ce camion arriva à notre hauteur, il s’arrêta brusquement. Pétrifiés par ce qui se passait de l’autre côté du carrefour, nous stoppâmes notre marche. Bien qu’affichant une insouciance démesurée, nous gardions en tête une potentielle patrouille de militaires. Nous étions en quelque sorte sur nos ergots. Subitement, à cet instant, nous entendîmes une voix familière s’échapper de l’arrière du camion. De toutes ces forces, le défunt L’As Damon, qui rappait souvent avec moi, s’écria « Les gars, les niens ! Le niens », afin de nous alerter. En effet, quelques minutes voire quelques heures plus tôt, il avait été appréhendé en compagnie de deux autres cousins au quartier Akoakam. Il nous raconta plus tard qu’ils se dirigeaient vers l’un des bars qui avait de la vogue dans la ville, El Campero, alors ils tombèrent nez à nez avec une patrouille de militaires. Ils n’eurent pas le temps de fuir ou de se cacher qu’ils avaient déjà des armes braquées sur eux. On ne leur demanda point leurs pièces d’identité. Mais au contraire leur intima de se déchausser, puis de s’asseoir à même le sol avant de se retrouver coiffés comme des serpents. Le plus âgé fut confondu à un repris de justice en cavale. En voulant réfuter cette accusation, il reçut un cinglant : « tais-toi ! Mon petit, là tu as été capturé par les miliaires ». Puis, ils furent jetés dans le camion où étaient déjà agglutinés un nombre important d’individus. Arrivé au centre-ville, en voyant un groupe de personnes, le soldat qui devait les conduire au poste ordonna aux chauffeurs de s’arrêter, car il voulait capturer un maximum d’indivis. Dès que le troufion descendit du véhicule, en se précipitant vers le groupe qu’il ciblait, deux personnes sautèrent du camion. Il s’agissait de l’aîné de mes cousins et d’une fille en talons aiguille qui courait aussi que Marie José Perec — malgré les douze centimètres, sur lesquels était perchée. Tout le monde se mit à rire. Des captifs au geôlier, qui n’eut pas la force de les poursuivre. Et c’est à la suite de cette rafle qu’ils tombèrent sur nous.

Une fois que L’As Damon nous alerta, nous vîmes un soldat armé sauter du camion. Comme une horde de macaques à la vue d’un chasseur, nous nous dispersâmes. Les gens accrochèrent leurs jambes au cou. C’était du sauve-qui-peut. Personne ne voulait passer la nuit au poste de peur d’être brimé ou de passer toute la matinée à débroussailler à la machette comme les prisonniers qui nettoyait la ville à la veille des cérémonies. J’étais comme médusé, je restai sur place sans fuir. Car j’avais ma carte d’identité scolaire. Le troufion n’avait cure de moi à ce qui semblait. Il ciblait une de mes nièces qui se prenait pour Rudy Zang Milama alors qu’elle avait une foulée de tortue. Et dès que je constatai que le bidasse s’éloigna de moi, je démarrai en direction du village comme Ben Johnson à Séoul, en 1988. Avec ces énergumènes, il ne faut pas trop réfléchir. Je courus, quatre cents bons mètres, jusqu’au Carrefour des Grandes Endémies où je retrouvai ceux qui m’avaient précédé. Nous y attendîmes les autres. Et au bout d’un quart d’heure, tout le groupe était réuni à l’exception d’une nièce. On comprit alors qu’elle avait été capturée. Pendant que nous rentrions chez nous en marchant, nous vîmes un cousin, qui était avec L’As Damon, arrivé à vive allure. Quand nous voulûmes l’interroger sur le sort des autres, il nous répondit, tout en continuant de courir : « mes petits, il y a les niens, il faut barrer ».

Arrivés au village, nous étions inquiets du sort des autres. Certains allèrent dormir et nous restâmes assis au corps de garde dans l’espoir de voir paraître les captifs. Vers 3 h du matin, nous reconnûmes la silhouette de notre nièce. On accourut vers elle afin de savoir ce qui s’était passé. C’est alors qu’elle nous raconta que le militaire l’avait capturée sans la brutaliser avant de lui ordonner de monter dans le camion. Une fois qu’il avait débarqué les autres occupants, y compris L’As Damon, il repartit avec elle pour la déposer à Akoakam. Elle avait dû marcher plus de 6 km toute seule à 2 h matin pour arriver saine et sauve au village. Elle avait 15 ans. Après son témoignage, le cœur apaisé, chacun rentra chez soi et le lendemain, cela devint un sujet de moquerie.

A L’As Damon, essa ô ne vé

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