Le footballer des vacances

Publié le par Nguema Ndong

Le footballer des vacances

Avec les retraits de deuils et les mariages, les tournois de football font partie de ces activités qui rythment nos contrées durant la grande saison sèche (Oyone) qui correspond aux grandes vacances scolaires. Chaque village fait l’effort d’avoir une équipe compétitive qui pourra dignement la représenter. Pendant neuf mois, tout le monde s’attèle pour être en jambes quand viendra le moment fatidique. Que ce soient ceux qui sont partis en ville pour les études ou ceux qui sont restés sur place. Ce n’est pas une affaire que l’on prend à la légère ou qui ne concerne que les jeunes gens. Il arrive très souvent que les notables s’impliquent pleinement. Il s’agit ici de l’honneur de tout un village, on ne badine pas avec, car l’humiliation va au-delà des simples participants à la compétition. Pour parer à toute éventuelle piètre prestation, quand on mésestime son équipe, certains villages ont recours au recrutement de joueurs extérieurs afin de se renforcer. Ce sont souvent les amis d’autochtones voire des personnes qui n’ont aucun attachement particulier dans le village, mais dont le seul talent suscite l’intérêt. Et si d’aventure l’expédition s’avère positive, il arrive que l’on gratifie ces soutiens de belles demoiselles qui auraient exprimé librement leur béguin pour ses surdoués. Mais ce ne sont pas ces virtuoses qui m’intéressent aujourd’hui. Car à côté d’eux, il y a un type de joueur exceptionnel non pas pour son apport au jeu, mais pour le côté absurde qu’il renvoie. Il est le mieux équipé, celui qui prétend tout connaître alors qu’il n’est pas peut-être le pire footballer de tout le village.

Ce boa, comme nous l’appellerons dans ce texte, revient le plus souvent de la capitale où nul ne sait s’il touche le moindre ballon au cours de l’année scolaire. Avant son départ, sa nullité était de notoriété publique dans l’ensemble du village. Il trouvait toujours le luxe d’être assis sur les bancs de touche durant les petites oppositions domestiques (Essal Okuign vs Essal Nkiegn). Personne ne souhaitait le voir sur un terrain, excepté si le sort du match était déjà scellé. Mais depuis qu’il est parti du village, il prétend maintenant avoir connu une nette évolution grâce à une formation reçue dans une école de football. Quand il parle de football, il adopte un vocabulaire jargonneux qui méduse ses congénères. Il est au faîte de l’actualité du domaine. Il a une parfaite connaissance de ce sport au point que nul ne doute de sa supposée efficacité sur le terrain. D’ailleurs, lorsqu’arrivera le moment de choisir les joueurs qui devront commencer la rencontre, personne ne songera à le laisser sur la touche. Non, qui oserait une telle incartade. Mais l’essentiel est ailleurs.

 

Ce boa s’arrange toujours à arriver en retard au terrain de jeu. Pendant que tout le monde est en place, on doit l’attendre. C’est son heure de gloire, c’est lui la vedette. D’ailleurs, son accoutrement le prouve. Alors que les autres ont des équipements hétéroclites, le monsieur respecte tous les détails. On aurait dit un joueur venu d’un grand club européen. Je vous assure qu’il ne laisse personne indifférent. Pour commencer, il part de son domicile vêtu d’un survêtement, garanti authentique, aux couleurs de son club de cœur. Quant au sac de sport qui tient, il est de la même marque que ses sandales et sa casquette. Alors que les autres sortent de vieilles paires de bottines usées qui ont fait de multiples tours chez le cordonnier, notre cher boa, pour sa part, déballe une toute nouvelle paire de chaussures de son carton. Cela suscite des regards envieux autour de lui, ce qui contente bien sûr son ego. Et quand vient le moment de l’échauffement, il arbore une chasuble afin de marquer la différence. Je n’ai pas besoin de vous préciser qu’il a une gourde spéciale, sans parler de ses bas d’un blanc immaculé, des protège-tibias, de la trousse médicale, etc. En fait, il a l’équipement du parfait footballer professionnel de haut niveau. En somme, c’est lui l’attraction principale du stade. Toutes les personnes venues assister à la rencontre n’ont d’yeux que pour lui. Heureusement que c’est durant le match que l’on juge les différents acteurs. Cela permet également de comprendre ce que cache cette passion de l’apparence. 

 


L’arbitre donne le coup d’envoi de la rencontre. Notre boa est sur le terrain et il a tenu à porter le dossard 10 comme Pelé, Maradona, Platini, Gullit ou Abedi Pelé. Nul ne connaît son réel niveau. Il est arrivé au village à deux jours du début de la compétition, les entraînements étaient finis. On n’a pas pu le jauger. Tout le monde lui fait confiance. Mais dès sa première action de jeu, on remarque que sa touche de balle est brouillonne. On se dit que ce n’est pas assez pour le juger. D’ailleurs, il n'a fait que remettre le ballon à celui qui le lui avait donné. On désigne ce fait de jeu dans le domaine par l’expression « le jeu en une touche » ou « une-deux ». Néanmoins, au fil des minutes, on commence à comprendre qu’il semble perdu. Il n’arrive pas à bien se positionner. Il suit le ballon sur tout le terrain. Au bout d’une quinzaine de minutes, il a déjà les mains sur les hanches en tirant la langue. À chaque foulée, il donne l’impression de vouloir vomir son cœur. À cet instant, tout le village se rend compte de la supercherie. Ils ont affaire à un usurpateur. Comble du ridicule, à la trentième minute, sachant qu’il ne peut plus fournir le moindre effort physique, il fera mine d’aller au contact d’un adversaire avant de s’effondrer sur le gazon. Il va commencer à hurler comme un condamné dans une salle de torture en posant les mains sur des genoux. Lorsqu’on lui demandera la raison de tels cris, il répondra engoncé dans un faux air docte : « je crois que je viens d’avoir une rupture des ligaments croisés ». Comme s’il était médecin. Il sera donc évacué hors du terrain sous les quolibets de tous les spectateurs, vu que son escroquerie aura été mise à nu. Beaucoup proposeront qu’il soit puni au corps de garde (abourou ossi). Car toutes les personnes présentes au stade ont compris que notre cher ami n’est qu’un fieffé menteur, mais surtout un d’illustre tocard qui n’a point évolué comme il l'avait prétendu à son arrivée.

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