Affaire de placements

Publié le par Nguema Ndong

Il y a du bien dans le célibat. Tu peux regarder les femmes dans la rue comme tu veux ; tu réponds aux messages à n’importe quelle heure ; tu attaques tout ce qui est potable et ragoûtant à la mesure de tes moyens ; tu n’es pas obligé d’effacer les messages et les sextos de ton téléphone ; tu ne te sens pas obligé d’avoir mille mots de passe sur ton Whasapp. La seule contrainte légitime qui revient au célibataire, c’est de faire la politesse aux petites indélicates qui veulent l’émasculer en l’aguichant. Le célibataire n’est pas Lanlaire. Par ailleurs, le malheur du célibataire porte sur ces nombreuses pressions que ses proches exercent sur lui. En effet, tout le monde veut lui trouver une femme comme s’il portait toute la honte du monde sur ses épaules. Je vis ce drame chaque jour et il y a peu de temps, cela m’a fait vivre une de ces aventures cocasses, je dirai même avalezing. 

J’étais tranquillement allongé dans mon lit en prospectant sur Tinder. Badoo, Twoo et les autres sites de rencontres étant passés de mode. Quand je reçus l’appel d’une de mes sœurs.

Elle — Bonjour Aimé, comment vas-tu ? 

Moi — Eh, ma bonne petite qui oublie son ancien bon grand. Bonjour !

Elle — Ah, Aimé, c’est dur actuellement. Entre le travail, les enfants et ton beau-frère. Cela devient compliqué.

Moi — Arrête. On a augmenté le prix du carburant et non le coût de la minute de communication téléphonique. En tout cas. Que me vaut l’honneur de ton appel ? Veux-tu m’annoncer le décès de l’autre là?  

Elle — Oh ! Ne me fais pas rire. Tu ne vas pas changer. Ça, c’est sûr. Bon ! Je sais que tu es toujours célibataire et je ne veux pas que les gens du village pensent que tu es devenu un membre de l’AJEV. 

Moi - Penses-tu qu’un bon Odzip authentique, pas les frelatés qui écument les bars et les réunions des parents d’élèves, puisse une seule fois envisager de devenir le larbin de Bryce de Nice ? 

Elle — (rires) Pardon, ne fais pas rire. En fait, j’ai une amie qui pourrait vraiment te plaire. Elle est célibataire, nullipare (femme qui n’a jamais accouché), cultivée, diplômée, salariée, trilingue, mélomane, amoureuse des livres. Elle m’a confié que le rêve de sa vie est de rencontrer Léonara Miano, elle lui voue quasiment un culte. 

Moi — C’est bien tout ce que tu me dis là. Le cerveau est en place. Mais à quel niveau du matos ? L’amour, c’est l’esprit et le corps. L’esprit semble parfait, chère petite sœur, il me tarde de savoir ce que tu vas me dire sur sa plastique.

Elle — Ah Aimé, tu es toujours ainsi. Quelle est cette manie de vouloir à chaque fois vexer les gens ? En toute franchise, je ne saurai te dire quoi que ce soit sur son physique. C’est mon amie et je la vois comme une sœur. Comprends-moi, ce lien affectif pourrait altérer voire biaiser mon jugement. En tous les cas, je vois des gens à sa porte. Cela veut dire qu’elle a du charme. 

Moi — Eeeeeeeeh, ma bonne petite. Emot ane kah aval kah di abô dzé ? Abarane vine ébot olong été [quel est le sort de celui qui n’a pas ce type de petites sœurs ? Il se débarbouille dans un vieux seau d’eau]. Cette phrase est une sorte d’aphorisme que l’on utilise pour encourager ou féliciter quelqu’un. Je suis intéressé, lui dis-je. Pourrais-tu me donner son numéro ? Mais dis-lui au préalable que je vais l’appeler. 

Elle — D’accord. Dès que je raccroche, je l’appelle et à la suite de cette conversation, je t’envoie son numéro de téléphone. 

Moi — D’accord. Merci infiniment de penser à moi. 

Elle — Je t’en prie Aimé. Je vais devoir te laisser. Ce vieux PDGiste atrabilaire, qui est notre chef de service, me tape sur le système. Depuis que son neveu ou cousin a été rabroué, comme le rat qu’il est, du gouvernement, ses coups de colère ont décuplé. 

 

Les quelques minutes qui s’écoulèrent après cet appel durèrent une éternité. Mon cœur battait la chamade. L’impatience de parler à ladite demoiselle que l’on venait de me présenter de façon dithyrambique me donnait des palpitations. L’envie de discuter avec une personne qui avait les mêmes centres d’intérêt que moi me consumait. Quelques instants après, elle me rappela afin de me donner l’autorisation de lui parler. La jeune dame était intéressée par l’offre que lui avait faite ma sœur. Je savais bien qu’elles en avaient déjà parlé avant qu’elle ne vienne me faire la proposition. Comme on dit dans ces cas-là, la balle était dans mon camp. Je composai alors le numéro que l’on venait de me donner à la vitesse de l’éclair. Cela témoignait mon désir immodéré d’honorer le geste de ma sœur. 

Moi — Allô, bonjour, madame. Je suis le frère de ##@@, Richard Aimé. Mais je préfère que l’on m’appelle par mon prénom : Richard. 

Elle - Bonjour monsieur (grand rire). Eh bey, ça c’est de la présentation. Moi c’est ##@@, votre sœur m’a prévenue. J’attendais votre coup de fil.

 

Je tiens juste à préciser que son prénom ne se terminait pas par « a ». Car actuellement, cela ne fait pas bonne presse. Au passage, la dame avait une si jolie voix que l’on avait l’impression qu’elle n’avait bu que du miel toute sa vie.

 

Nous passâmes de longues minutes à discuter au téléphone avant de basculer sur Whatsapp. Ah, sa syntaxe était si agréable que j’avais l’impression de correspondre avec un auteur à succès. Ses mots avaient la beauté de ceux de Mongo Beti ou de Césaire. C’était une plume élégante. Je lui écrivais juste pour m’abreuver de ses litotes, de ses métaphores, de ses figures de rhétorique qui me laissaient chaque fois ébloui. Elle choisissait bien chacune de ses phrases, sans emphases et sans gongorisme. J’avais l’impression de clavarder avec Wikipédia, car sa façon de détailler ses arguments était stupéfiante sans oublier l’immensité de sa culture générale. Elle te parlait avec aisance de dérégulation économique et de noumène. Elle pouvait citer Friedrich Hayek ou Albert Ondo Ossa. Dans une conversation, elle te parlait de la Destruction créatrice de Joseph Schumpeter et de la Disruption dans la stratégie de communication des Kardashian. Au fil de nos longs échanges, durant lesquels j’eus confessé mon ignorance à maintes reprises, je parvins à la conclusion que son intelligence démotivait plusieurs prétendants mus par une phallocratie atavique. Mais je n’avais toujours pas vu son visage au bout d’une semaine de correspondance. Je ne voulais pas lui demander des photos de peur de paraître désobligeant. Je tenais à maintenir cette si douce et agréable relation épistolaire.

Mais un jour, au cours d’une de nos discussions éthérées, alors que les mots volaient vers l’empyrée, un malencontreux geste me fit cliquer sur le bouton d’appel vidéo. Au moment où je voulus annuler, elle décrocha. Hum ! Pendant un instant, je crus que ma vue me faisait défaut. J’écarquillai de plus belle mes énormes yeux globuleux afin de bien voir et de surtout comprendre ce qui s’affichait à l’écran. Je ne veux pas que l’on me taxe de misogynie ou de sexisme. Je préfère laisser l’image parler plus que je ne pourrai le faire. Pour ce faire, je vous partage ci-dessous la photo de ma brillante correspondante. 

Elle — Allô, allô, allô… Richard ? As-tu perdu la parole ?

 

Pétrifié par ce que je voyais, même un seul mot n’arrivait pas à sortir de ma bouche. Du tréfonds de mon âme vint un brin de force qui conduisit mon doigt à raccrocher, puis à bloquer son numéro afin de ne plus recevoir ni appels ni message d’elle. J’éteignis mon téléphone et le jetai sur la tablette. Je bus un verre d’eau avant de m’affaler sur le lit pour un sommeil qui dura de longues heures… 

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