L'amère saveur de la naïveté 12e partie (fin)

Publié le par Nguema Ndong

L'amère saveur de la naïveté 12e partie (fin)


Quand on prend, on perd également

Le samedi, Eyui avait la mine des mauvais jours. Elle n’avait presque pas fermé l’œil de la nuit. Dès les premières lueurs du soleil, elle se leva pour laver quelques petites affaires. Le stress inhérent à l’opération qu’elle devait subir dans la journée la perturbait. D’ailleurs, Ovono lui avait tenu compagnie par messagerie jusqu'à très tard. Il essayait d’occuper son esprit et surtout de lui donner confiance. Mais une fois qu’ils se dirent au revoir, les sombres idées revinrent à la surface en engendrant ainsi cette insomnie. Eyui cachait bien cette anxiété à sa colocataire. Cette dernière avait finalement décidé de l’accompagner à la clinique. Elles avaient eu une longue conversation le jeudi après le départ d’Anguezomo qui était venue déposer l’argent censé couvrir les frais d’hôpital et les autres charges. Mengue voulait toujours la dissuader d’avorter. Elle égrena les mêmes arguments qu’Eyui refusait d’accepter. Lasse du climat conflictuel que cela créait maintenant entre les deux, Mengue se résolut à s’aligner sur la décision de son amie. De toutes les façons, elle n’avait aucun moyen de pression en sa faveur. Elle ne détenait ni le numéro de Melenga ni celui d’Evouna. Et même si elle les avait, Eyui aurait perçu un tel acte comme de la trahison et leur amitié aurait perdu beaucoup de plumes, voire de prendre fin. Mengue qui ne connaissait pas grand monde dans la capitale, ne pouvait pas se permettre le luxe de perdre une amitié. Et par la même occasion, elle se retrouverait toute seule à supporter un loyer. Toutes ces circonstances lui imposaient par conséquent d’adhérer sans conviction au choix d’Eyui. Ainsi, lorsque Eyui eut accompli ses tâches, elle demanda à Mengue de s’apprêter pour se rendre à la clinique. Cette dernière s’en pressa de s’exécuter sans broncher. Elle lui avait donné sa parole d’honneur et elle savait son amie assaillie par le stress. Une dispute à cet instant aura rendu Eyui plus mal d’autant qu’elle présentait déjà les signes avant-coureurs d’une crise d’angoisse. C’est du soutien et du réconfort qu’avait besoin Eyui à ce moment. Elle n’avait aucune autre personne dans la ville pour l’épauler, elle n’était pas très proche de la seule tant qu’elle avait dans Libreville. En plus, lui parler de sa grossesse, c’était une façon de l’annoncer à ses parents à Oyem. Une chose qu’elle ne refusait pas dessus toute. Quant Ovono, il l’appela et ils échangèrent pendant qu’Eyui attendait Mengue qui s’apprêtait pour leur départ. 

Au bout de quelques minutes, Mengue et Eyui quittèrent leur domicile en direction de la clinique. Mengue qui d’habitude avait un air un peu rigolard se mua en un véritable boute-en-train. Eyui n’en pouvait plus de ses blagues, elle la suppliait même d’arrêter, car à force de rire, elle avait un peu mal aux côtes. Elles avaient oublié le temps de cette marche, la raison pour laquelle elles n’étaient pas parties à leurs différents petits boulots du samedi. Eyui avait retrouvé sa joie de vivre. L’ambiance était bon enfant sur tout le chemin jusqu’à ce qu’elle arrive devant l’établissement médical. Une fois qu’elles franchirent le portail, Eyui devint soudainement, comme la dernière fois, toute pâle. On avait l’impression qu’elle venait d’apercevoir un ectoplasme. Toutes les sombres idées enfuies au fond de son être revinrent à la surface. La peur de l’opération reprit le contrôle de sa pensée. Son optimisme momentané laissa la place à un pessimisme des mauvais jours. Eyui hésitait maintenant à pénétrer dans le bâtiment. Mengue prit sa main en signe de soutien. Elle l’aurait soutenue, quelle que soit la décision qu’elle aurait prise. Finalement, elles entrèrent dans la clinique. La dame de la dernière fois était toujours assise à la réception. Les deux jeunes filles s’approchèrent d’elle. Eyui lui signifia qu’elle avait rendez-vous à neuf heures avec le gynécologue. La dame l’a reconnue. Elle la gratifia d’un large sourire. Puis elle lui présenta à nouveau la liste des frais à payer avant d’être reçue. Une fois que le tout fut réglé, la réceptionniste les invita à prendre place dans la salle d’attente qui était totalement vide. L’horloge marquait huit heures passées de quarante-cinq minutes. Il restait donc quinze minutes à Eyui avant que le médecin ne la reçoive. Mengue tentait tant bien que mal d’occuper l’esprit de son amie. Son humour n’avait plus de réel effet sur elle. Eyui avait l’air d’être un zombie. Elle était préoccupée. Elle en profita pour envoyer un message à Ovon pour lui dire qu’elles étaient déjà à la clinique. Mais avant qu’il ne lui ait répondu, une infirmière vint l’appeler. Elle lui demanda de la suivre, car son tour était arrivé. Avant de partir, elle enlaça son amie une dernière fois. Celle-ci lui dit à l’oreille : « ne t’inquiète pas, tout va bien se passer. À tout à l’heure ». Quant à elle, elle lui dit de prévenir Ovono si jamais il se manifestait. Puis Eyui le leva en suivant la femme qui était venue la chercher. Mengue les vit disparaître dans le couloir. Elle était plutôt contente, car l’attente ne fut pas de longue durée. D’ici une heure, elles seraient de retour chez elles et elle pourrait même vaquer à ses occupations du samedi.

Mais cela faisait plus de deux heures qu’Eyui l’avait laissée toute seule assise dans cette salle d’attente fortement climatisée. La jeune dame flageolait, car elle ne portait qu’une simple robe à bretelles qui la protégeait mal du froid. Quant à Ovono, il avait appelé à trois reprises et Mengue lui répondait toujours qu’Eyui était dans le cabinet du gynécologue. Aucun des deux n’avait connu jusqu’à présent pareille expérience. Ils ne savaient pas exactement combien de temps durait une telle opération. Cependant, au cours de ses multiples potins entre amies, Mengue avait appris que cette opération ne prenait pas trop de temps excepté lorsqu’il y avait des complications du type hémorragique. Mengue refusait d’accorder du crédit à ces balivernes. Elle avait entièrement confiance dans le gynécologue de cette clinique. D’ailleurs, c’est l’une des filles de leur école qui leur en avait parlé. La camarade de classe en question, la seule qui avait été mise au courant de la grossesse d’Eyui, entretenait une relation amoureuse avec ledit médecin. En plus, ce monsieur avait pratiqué le même genre d’intervention sur l’une de ses sœurs, il y a quelques années. Cela n’avait eu aucune incidence sur sa vie et sa fertilité. Par la suite, elle avait eu trois enfants après cet avortement. Mengue demeurait confiante. À force d’attendre, elle s’assoupit un moment sur sa chaise en ayant les écouteurs fixés à ses oreilles. C’était le seul moyen qu’elle avait pour tuer l’ennui vu qu’elle semblait être abandonnée. Soudainement, on tapota à son épaule pour la réveiller. En ouvrant les yeux, elle reconnut l’infirmière qui était venue chercher Eyui plus tôt.

  • L’infirmière : Mademoiselle, Mademoiselle, pouvez-vous me suivre s’il vous plaît ?
  • Mengue : pourquoi vais-je vous suivre ? Où est mon amie ? Répondit Mengue en ne voyant pas son amie aux côtés de la dame.
  • L’infirmière : venez s’il vous plaît. Le docteur veut vous parler.

 

Mengue ne comprenait rien à la situation. On ne lui avait pas dit qu’elle devait discuter avec le gynécologue. Pourquoi diable voulait-il la voir maintenant ? Elle se leva tout de même pour suivre l’infirmière qui ne disait aucun mot. Cette dame avait un air austère qui ne plaisait pas à Mengue. Quand elles passèrent devant la sémillante réceptionniste de leur arrivée, celle-ci baissa les yeux pour ne pas croiser le regard de Mengue. L’attitude du personnel de cette clinique lui paraissait étrange. En tous les cas, il lui tardait d’entendre ce que ce fameux médecin allait raconter. Lorsqu’elles s’introduisirent dans le cabinet du médecin, celui-ci se leva aussitôt. Juste à côté de lui se tenait une autre infirmière qui portait également une tenue du bloc opératoire. L’ambiance dans la salle n’avait rien de jovial. L’expression faciale du monsieur donnait des sueurs froides à Mengue. Par instinct, elle devina que rien de bon n’allait sortir de sa bouche. Toutefois, elle prit le courage et la patience d’entendre ce qu’il avait à lui dire. Elle se tenait face à lui. 

  • Le gynécologue : bonjour, madame, c’est vous qui accompagnez madame Eyui ? En lisant le nom sur la fiche de soins. 
  • Mengue : oui docteur. 
  • Le gynécologue : dites-moi, avez-vous le numéro d’une personne plus âgée que l’on pourrait appeler ? 
  • Mengue : non, je suis sa seule famille ici à Libreville. Et pour l’homme qui est l’auteur de cette grossesse, il est en mission en province. Si vous avez des choses à dire concernant Eyui, je suis la personne indiquée.
  • Le gynécologue : je ne sais pas comment vous le dire. Mais l’opération ne s’est pas bien passée. 

Mengue interrompit brusquement le médecin. Elle avait le pressentiment d’une mauvaise nouvelle qui pointait à l’horizon. Elle se mit à élever la voix. 

  • Mengue : où est mon amie ? Où est Eyui ? Comment va-t-elle ?
  • Le gynécologue : malheureusement, il y a eu une hémorragie et votre amie n’y a pas survécu. Mademoiselle, je suis vraiment désolé de vous l’annoncer, votre amie est décédée. Nous n’avons pas pu la sauver.  

Mengue ressentit une décharge sur son corps comme si elle venait de recevoir un coup de fusil ou une masse électrique. Elle s’effondra dans les bras de l’infirmière qui était venue la chercher dans la salle d’attente. Puis elle fondit en larmes qu’accompagnaient des cris. Le ciel venait de tomber sur sa tête. Elle avait du mal à imaginer qu’Eyui avait pris le sentier du non-retour et qu’elle ne lui parlerait plus jamais. Elle n’en croyait pas à ses oreilles. Avait-elle bien entendu ce que le gynécologue venait de lui dire ? Elle n’avait pas cure des invitations à la retenue du personnel médical. Son cœur saignait. C’était un maelstrom in petto. Tous leurs souvenirs défilaient dans sa tête. Elle la revoyait qui se levait pour suivre l’infirmière, quelques heures plus tôt. Elle regrettait de ne pas avoir été plus persuasive dans son opposition à cette opération. Elle n’avait pas suffisamment joué son rôle de grande sœur. Elle avait beau lui parler sans fards, en la mettant en garde, mais elle avait échoué à la libérer de la férule de cette utopie amoureuse. Cette perfide passion qui noyait Eyui dans l’incommunicabilité quand on émettait des réserves sur sa relation avec Ovono. Elle n’avait pu être les impedimenta aux perfides ambitions de ce vil personnage. Elle souhaitait se flageller pour payer sa faute. Il lui revenait de la protéger, mais elle avait failli à sa mission. Les remords la rongeaient. Le réel était plus difficile que tout ce que son imagination lui avait permis d’envisager. Mengue avait pensé à tant de choses, mais jamais elle n’aurait imaginé que cette opération pouvait être à l’origine d’un tel drame. Elle n’avait jamais parlé à un seul parent d’Eyui, malheureusement le sort avait décidé que cela se ferait dans de telles conditions. Comment allait-elle procéder pour annoncer une telle mauvaise nouvelle à Melenga et à Evouna ? Ces pauvres gens qui avaient mis tous leurs espoirs sur leur fille aînée. Mais à cause des besoins égoïstes d’un homme infidèle qui souhaitait sauver son mariage, Eyui avait quitté le monde des vivants. Ce sépulcre blanchi d’Ovono qui lui conseilla l’avortement dans le dessein de préserver un hypothétique avenir en commun. Or il faisait son miel sur sa naïveté. Celle qui a permis à Eyui de succomber au miroir aux alouettes. Quant à la fameuse tante chez qui Eyui avait élu domicile lors de ses premiers jours à Libreville, Mengue n’avait aucune idée d’où se trouvait sa résidence encore moins de son numéro de téléphone. La pauvre jeune fille souffrait dans tout son être. La vie ne lui avait jamais fait de cadeaux. Sauf que la mort d’Eyui était à des proportions que son jeune âge ne pouvait pas supporter. Les jours à venir s’annonçaient terribles. Malgré tous ces questionnements qui passaient dans sa tête, Mengue se ressaisit momentanément, elle composa le numéro de téléphone d’Ovono et elle l’appela. Dès qu’il vit le numéro d’Eyui s’afficher, il se précipita à répondre. Mais sa surprise fut grande lorsqu’il entendit la voix de Mengue qui sanglotait à l’écouteur. Il comprit directement qu’un drame venait de surgir. À peine Mengue avait-elle dit « Ovono, Eyui est décédée » qu’il lui raccrocha au nez. Mengue relança l’appel à plusieurs reprises sans succès. Ovono avait fermé son téléphone et il venait de tourner la page d’Eyui.   

 

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A
Vous m’avez vraiment pris au dépourvu. J’imag n’importe quelle suite mais pas celle là !!! WoW Eyui!!!
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