Selfie: le culte du Me, Myself and I

Publié le par Nguema Ndong

Pixabay.com / Le blog de Nguema Ndong

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Il y a plusieurs années, l’humoriste franco-camerounais Thomas Ngijol disait dans un sketch que les personnes dont il refusait systématiquement les demandes d’ami sur Facebook étaient celles qui avaient des autoportraits photographiques comme profil. Il se justifiait en disant que ces personnes étaient si esseulées qu’elles n’avaient personne pour les prendre en photo. Elles étaient peut-être imbues de leur personne donc elles n’avaient cure des autres ou elles avaient peur du contact avec les autres. Cette simple photo de profil dénotait par conséquent d'une sociopathie avancée. Les années sont passées, l’autoportrait photographique, mais on préfère maintenant dire selfie pour être in, est devenu la mode sur les réseaux sociaux. On dira même une obligation. Tout le monde veut se faire un selfie à point que tout le monde veut avoir sa perche à selfie.

Je ne veux pas faire le procès du selfie, j’en suis moi-même un adepte. Mais cette mode est révélatrice de l’époque que nous vivons. L’appellation du selfie par les Québécois en est la parfaite illustration. Là-bas, on préfère dire "égoportrait" plutôt que selfie, car nous sommes à une époque pendant laquelle le culte du "moi" est la religion dominante. Les égos sont mis en avant dans la plupart des domaines. Le selfie devient le principal vecteur de cette mise en avant de soi, de l’affichage du soi, de la contemplation de soi, du narcissisme, en somme de l’égotisme.

On veut avoir un maximum de « J’aime » sur Facebook, alors on se fait un selfie auquel on ajoute un message pour dire que l’on est en deuil par exemple. Mais à y regarder de près, la personne affiche une élégance proche de l’insolence. Mascara, fards et fond de teint de chez L’Oréal, Rouge à lèvres rouge de chez Yves Rocher, une paire de lunettes Dolce & Gabana. On comprend bien que l’importance dans cette image n’est pas le deuil, mais l’affichage ostentatoire de sa coquetterie. Un autre exemple, ce sont ces personnes qui veulent faire étalage de leur supposée élégance en publiant des selfies auxquels on ajoute la fameuse phrase « Au nom puissant de Jésus ». En auscultant ladite photographie, on a du mal à comprendre le lien qui existe avec la religion. Pourquoi Jésus est-il cité ici ? C'est ce même folklore, cet affichage de soi, que nous offrent ceux qui disent lutter pour l'alternance au Gabon. Ces personnes qui pensent que la lutte pour la démocratie est un festival d'escarpins Louboutin et d'accessoires Louis Vuitton que l’on vient afficher sur Facebook.

On veut tout faire seul. On ne veut plus travailler en communauté. L’Église n’échappe pas à ce mouvement. Comme l’explique Max Weber1, le protestantisme porte en lui les gènes du capitalisme. La prolifération des églises protestantes (surtout celle que l’on nomme communément églises éveillées) répond ipso facto à ce besoin inextinguible de la propriété privée inhérent au capitalisme, mais également de l’accumulation des biens matériels. Chaque pasteur veut maintenant devenir le messie de ses ouailles. La communauté n’a de valeur que si l’on est à sa tête dans le cas contraire, on choisit le départ afin de créer sa propre congrégation.

 

Le selfie montre combien de fois, nous nous déconnectons du reste du monde pour nous focaliser sur nous-mêmes. Ce qui fait qu’aujourd’hui, on préfère mettre en avant le côté personnel des choses. Prenons l’exemple de l’attribution du titre de meilleur joueur de football au monde. Le football est un sport collectif, mais les critères retenus pour le choix du meilleur joueur portent pour l’essentiel sur des statistiques et des performances personnelles. En l’état actuel des choses, il sera très difficile d’assister au sacre d’un défenseur comme cela fut le cas pour Matthias Sammer (1996) et Fabio Cannavaro (2006) pour ne citer que ceux-là. Mais également le cas d’un gardien de but comme Lev Yacine (1963).

Étendons l’analyse à d’autres domaines. Combien de groupes de rap sont-ils encore au top de nos jours ? On n'a que des rappeurs solos qui sont en vogue. Depuis que le rap s’est séparé du hip-hop et que les DJ’s ont été exclus des groupes, le Unity qui était dans la devise de la Zulu Nation a volé en éclats. Le rap est devenu le parangon du culte de soi. Le rap en vogue est celui de l’egotrip. Un style dans lequel le MC ne parle que lui et dans lequel il fait croire à son auditoire qu’il est le plus fort. Je suis, les jaloux, les haineux, les ennemis, etc. En somme, son champ lexical ne tourne qu'autour de ces expressions. Le rapport à l’altérité dans ce rap n’est que conflictuel. Les médias s’adonnent à cœur joie pour en faire une large diffusion.

L’homme est censé être un animal politique, mais il veut se contenter de lui-même. Il s’isole des autres membres du groupe auquel il appartient. Prenons le cas cette fois-ci de l’augmentation croissante du nombre de familles monoparentales. Actuellement, la plupart des enfants au Gabon naissent hors mariage. Cela augmente le nombre de mères célibataires et les hommes ont tendance à éviter ce type de femme. Beaucoup d'entre elles se retrouvent alors toutes seules à élever leurs enfants. Mais il existe aussi des femmes célibataires et financièrement indépendantes qui prennent l'assomption du risque de faire des enfants, en faisant appel aux donneurs de sperme ou ayant recours à des gigolos, afin de les élever toutes seules. Elles refusent d’avoir un homme à leurs côtés pour élever leur enfant. Elles veulent assumer leur indépendance même dans l’éducation des enfants.

Nous sommes devenus les sujets de nos propres fantasmes. Le selfie n’est que de l’onanisme (masturbation). Le cas le plus symbolique du glissement vers le solipsisme de notre époque est l’altération du plaisir sexuel qui est en principe acquis par l’entremise d’un échange entre deux partenaires. Mais aujourd'hui les gens sont de plus en plus portés par l'auto-érotisme. Vladimir Poutine a trouvé le responsable de la baisse de la natalité en Russie. Pour lui, c’est la masturbation qui serait génératrice de cet état des choses. Alors, pour redynamiser les échanges entre les personnes, ce qui conduirait à une hausse de la fécondité, Poutine a donc bloqué le site interne YouPorn sur toute l’étendue du territoire russe. Il estime que les gens se contentent de regarder du porno sur Internet et ils évacuent les sécrétions libidinales par l'onanisme. Ainsi, au lieu de faire des enfants, les gens passeraient plus de temps à se masturber ce qui réduit considérablement les chances de fécondation, sauf pour le cas des donneurs de sperme.

L’époque climatérique que nous vivons est celle des égos pour me répéter. Chacun veut se prouver à soi-même combien de fois, il est important. La compassion n'est devenue qu'un simple affichage de soi ce qui procède d’une contemplation de soi. Seule l’image de soi compte. Aujourd’hui, le libéralisme est devenu l’idéologie dominante. Le capitalisme dans sa forme la plus perfide prend de plus le monopole des sociétés. La mode du selfie nous montre donc combien de fois, nous avons décidé de tourner le dos à l’autre en espérant nous suffire à nous-mêmes et devenant des corps cuirassés condamnés à l’onanisme. Un dessein qui n’a point de chance de s’accomplir, car nous avons toujours besoin de l’autre.  

1. Max Weber - L’éthique protestante et l’esprit capitaliste

   Me, Myself and I  En référence au titre du groupe de rap américain De La Soul

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