Connais-tu le bar indigène ?

Publié le par Nguema Ndong

Connais-tu le bar indigène ?

Le bar indigène est la version moderne de celui décrit dans le roman Ville cruel d’Ezaboto. On le retrouve dans tous les quartiers chauds de Libreville et dans ceux des villes de province. On l’appelle couramment le snack-bar, le lieu privilégié de ceux qui refusent la poésie quand on peut aller directement au vif du sujet. C’est aussi le terrain favori des travailleurs qui veulent se cacher de leurs collègues en allant s’encanailler avec une gamine voire un plan secret c’est-à-dire une amourette que l’on n’arrive pas à assumer.

Dans le bar indigène, on joue de la musique si fort qu’à la sortie, on a au moins des céphalées sinon ce sont des acouphènes. Pour se parler, les clients doivent se hurler dessus avec le risque de se réveiller avec de gros chats dans la gorge. Quant au disc-jockey, il ne fait aucun effort de recherche. Il ne diffuse que des chansons en vogue qu'on trouve dans la quasi-totalité des téléphones des clients. Des chansons, qui plus est, sont virales sur les réseaux sociaux, particulièrement sur TikTok. Dans la plupart des cas, c’est de la musique nigérienne ou ghanéenne. Occasionnellement, on peut écouter une chanson gabonaise. Et là, c’est forcément un jeune qui parle de chanvre, de sexe ou d’alcool, le tout dans un français décousu. Mais cette cacophonie ne semble pas déranger outre mesure les clients. Tout aviné, ils dansent dessus comme des personnes sous l’emprise d’esprits venus du fond des enfers. Leurs corps en transpiration donnent l’impression qu’ils sont enfermés dans un sauna. En plus, la climatisation ne tient jamais longtemps. Alors, le sauna se transforme en un volcan en fusion. Dans le bar indigène, la bière locale est la sainte patronne. Femmes comme hommes, tout le monde regarde les Gabonais boire, à la satisfaction des brasseries du Gabon. Cependant, il y a quelques énergumènes qui s’arrogent le droit de consommer des boissons étrangères telles que des Smirnoff Ice ou des Desperados. Ne vous faites pas d’illusions, tout ceci est aux frais de la princesse. Cela sous-entend la charge d’un pauvre bougre qui tire quotidiennement le diable par la queue. Pendant ce temps, la mère de son enfant le traiter d’incapable à cause des retards de versement de la pension alimentaire. Mais comme il convoite une jeune fille qui a l’âge de sa nièce qui n’est pas encore sortie de l’adolescence, il hypothèque une part substantielle de son salaire. Il y a également ceux qui ont des rêves de grandeur, ceux qui caressent l’ambition de sabler le champagne et pour cela ils s’offrent une bouteille de vin mousseux. Dans le bar indigène, la réponse à ce besoin se nomme Mon bijou. Lorsqu’on l’a sur sa table, on fait le paon. On regarde les autres de haut et on leur parle avec dédain. On se permet la liberté de convoiter les compagnes de ceux qui boivent des bières locales. Dans le bar indigène, quand votre poche est bien garnie, on devient impoli comme un fonctionnaire le 25 du mois. On ne connaît aucun frein. On désigne tout le monde par le condescendant “mon petit” et on rabroue les gens pour un oui ou pour un non. 

 

Dans le bar indigène, on n’aime pas les choses raffinées. Et cela est perceptible au niveau de l’accoutrement des femmes. Pour 90 %, elles sont en ballerines ou en sandales. Quant à celle qui a osé chausser des talons, même si ce sont des contrefaçons, elle affiche un air de princesse. Avec sa sacoche Louis Vuitton, made in China, mise en évidence sur la table, et ses faux bijoux, madame manipule son téléphone en se faisant des selfies. Elle n’a pas cure des autres occupants du bar à l’exception de ses amies. Le premier courageux qui ose pointer son nez pour lui parler, il se prend un vent monumental au point de changer d’établissement sous l’effet de la honte. Et là, on comprend que celle-là n’est pas une habituée du coin. Or, les habituées de cet endroit n’attendent que cela, qu’un prétendant vienne leur adresser la parole, cela suppose de nouvelles tournées. Aussi, celles-ci n’accordent aucune importance à leur esthétique. On en voit beaucoup coiffées des filets de cheveux ou des capotes que l’on met sous des perruques. Souvent, elles donnent l’impression d’avoir été prises sur les fourneaux de cuisine. Je n’ose même pas parler de la puanteur qu’elles traînent. Parfois, on se demande quelle est la nature du parfum qu’elles utilisent. C’est pareil pour leur tissage. Ils donnent l’impression que leur shampoing est conçu à base d’œufs pourris. Et que dire de leurs vêtements ? L’incarnation du pur mauvais goût. Si Fendi pouvait profiter un peu de l’argent qu’elles investissent pour l’achat de ces couvre-corps, Rihanna serait plus riche qu’elle ne l’est aujourd’hui. 

 

Quant aux hommes du bar indigène, ils ne sont pas mieux vêtus. Comme les femmes, ils souffrent du même simplisme vestimentaire et de la contrefaçon à grande échelle. Pour la plupart, ils portent des t-shirts un peu petits par rapport à leur taille, la consommation abusive de bières et des bouillons a fait grossir leur ventre. En les voyant, on a l’impression qu’ils portent des grossesses à terme. Quant aux Air Jordan qu’ils chaussent, si jamais Michel tombait dessus, il verserait plus de larmes qu’au soir des obsèques de Kobe Bryant. Le mauvais goût est la chose la mieux partagée parmi eux. Beaucoup ont des haleines d’hylochères nourries par l’alcool et la cigarette. Dans le bar indigène, on trouve de toutes les catégories. Les chômeurs qui viennent noyer le cafard de leurs journées oisives ; le travailleur mal payé qui veut s’amuser afin d’oublier la rudesse de son emploi et la pression inhérente à la justesse de son salaire ; le coureur de jupons qui pense trouver des femmes faciles en leur vendant le rêve d’une vie de couple stable ; l’homme marié qui trompe sa femme avec une jeune fille moins âgée ; le vaurien ou le bon petit des bons grands, celui qui ne veut rien faire de ses journées à part aller prendre les numéros des filles pour ces aînés qui lui achètent les bières qu’il avale comme un tonneau des Danaïdes ; etc. 

 

Le bar indigène est un lieu où beaucoup de personnes trouvent leur compte. À la différence des endroits qui se veulent raffinés, ici les gens sont plus chaleureux. Ils ne s’avachissent pas dans leurs canapés. Le contact humain est plus facile, d’ailleurs voilà pourquoi ce lieu est propice aux tombeurs. Aussi, les prix sont plus abordables. Pour les gens de revenus modestes, c’est vraiment l’endroit indiqué. Cependant, sortir le soir n’est pas une obligation, on peut également rester chez soi à lire ou à discuter avec les siens. Aller s’alcooliser détruit notre santé physique et surtout financière. En ces temps de rudesse économique, il est préférable de se choisir une autre occupation au lieu d’aller s’encanailler régulièrement dans les bars indigènes. Par ailleurs, si un soir vous m’y croisez, dites-vous que c’est dans le cadre d’une étude de terrain. Je ne suis plus la bienvenue dans ces lieux depuis que je commande de l’eau aux serveuses.    

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