Le lycée d’État d’Oyem : mon alma mater

Publié le par Nguema Ndong

Photo prise au Lycée d'Etat Richard Nguema Bekale en 2005

Photo prise au Lycée d'Etat Richard Nguema Bekale en 2005

À partir du 20 mars 2022 et jusqu’au 25 mars 2023, le lycée d’État d’Oyem fête ses 65 ans. Un bel âge qui vous condamne à des issues différentes, selon le pays dans lequel vous vous trouvez. En France, vous serez un jeune retraité quant au Gabon, d’après notre espérance de vie, vous irez grossir les factures des pompes funèbres. Pour le cas de l’établissement de mon enfance et de mon adolescence, il n’est nullement question de mort. Mais il s’agit de célébrer cette institution qui a formé des générations et des générations. Dans les mots qui vont suivre, je vais raconter ma petite histoire d’amour avec le LEO devenu le LERNB pour Lycée Richard Nguema Bekale qui a d’abord été le Collège moderne d’Oyem.

Photo de Brice Obiang Ndong

Photo de Brice Obiang Ndong

On venait de célébrer le 17 août 1995, on attendait avec impatience les résultats du concours d’entrée en sixième. J’avais obtenu le CEP quelques mois plus tôt. On avait lu les résultats à la Radio Oyem. Lorsque l’on prononça mon nom, mes grand-mères avaient poussé des cris de joie. Pour elles qui n’étaient pas allées à l’école, c’était une immense réussite. Elles avaient vu tant de personnes gravir les échelons dans la société après l’obtention de ce diplôme. Pour ma part, l’essentiel était ailleurs. Mon cœur n’avait intérêt que pour le Concours. Lors des vœux, j’avais opté pour deux établissements à savoir le Lycée d’État d’Oyem et le CES Public qui venait d’ouvrir. Mes sœurs et mes frères qui étaient encore élèves à cette époque apprenaient tous au Lycée. Naturellement, je voulais les y rejoindre. Ainsi quand notre père revint en fin d’après-midi, ce jour-là, avec L’Union dans lequel figurait mon nom en bonne place parmi les admis au LEO, mon cœur débordait d’allégresse. J’allais enfin quitter l’école de mon village et pouvoir arborer le fameux uniforme bicolore, bleu-blanc. Mon statut n’était plus le même, j’étais devenu un collégien. Toutes les histoires que mes aînés racontaient sur leurs professeurs, j’en serai désormais un témoin oculaire. Le comble dans cette affaire, c’est que je n’étais pas le seul à être dans cette liste d’admis. Le défunt Joël Omva Nkoulou, mon meilleur ami du primaire, y était également. Nous partageons le même banc depuis des années, on espérait maintenant se retrouver dans la même classe dans notre nouvel établissement.

Le jour de la rentrée, mon cœur battait la chamade. Toutes les formalités administratives avaient été faites. Je serai en 6ème B. Quelques jours avant, mon père m’avait emmené chez son tailleur pour me coudre un pantalon et nous étions partis à la célèbre galerie de magasins Abong Miang où il m’acheta une chemisette blanche et des baskets toutes neuves. En arrivant au portail, dans ma tenue, je vis deux surveillants dont les noms m’étaient si familiers. Il y avait M. Essono Allou et un autre donc le nom m’échappe, mais on lui avait attribué le pseudonyme Super-Souris, en référence au dessin animé. Je n’avais rien à craindre. J’étais bien coiffé et j’avais rentré ma chemisette dans le pantalon. Je connaissais un peu les lieux. J’y venais de temps en temps pour des séances d’entraînement au taekwondo. J’avais une vague idée d’où se trouvait ma salle de classe. En m’y aventurant, qu’elle ne fût pas ma joie en me rendant compte qu’il y avait beaucoup de visages familiers. Mes anciens camarades de classe de l’école primaire s’y trouvaient notamment mon ami Omva Joël. Naturellement, on décida de partager le même banc. Le dépaysement que j’appréhendais ne fut que de courte durée. J’avais le loisir de parler à des gens que je connaissais depuis des années. Il me restait plus qu’à me faire de nouveaux amis.

Je ne me souviens plus du premier cours. Mais j’étais content d’être l’élève de certains professeurs qui bénéficiaient d’une telle notoriété que depuis mon École Publique Communale de Mbwéma, je les connaissais. De mémoire, les noms des enseignants suivants me reviennent : l’histoire-géographie par M. Bissou Pierre, l’anglais par Madame Ngomo, la biologique ou la SVT par M. Nzue Perrine, en sciences physiques M. Sow, en dessin M. Mesmin dont le nom m’échappe, le nom et le prénom de l’enseignant d’EPS sont sortis de ma tête. Ceux que je viens citer, je n’avais jamais entendu parler d’eux. Par contre, les professeurs de français et de mathématiques étaient des célébrités chez nous. Mes aînés en parlaient tellement qu’à l’annonce de mon admission au Lycée, je souhaitais vivement qu’ils me tiennent. Ainsi, en voyant leur nom dans mon emploi du temps, j’étais un peu aux anges. Il s’agissait de messieurs Gimenez et Mezui M’Obiang Biko alias le fils de l’homme.

Monsieur Gimenez était un Français, certainement d’origine catalane. Il avait enseigné le Français à plusieurs générations dans ce lycée depuis des années. On disait qu’il était déjà là durant la décennie 1980. D’après ce qui se racontait, il était le beau-frère d’un ancien ministre originaire de la contrée. D’ailleurs, je l’avais parfois aperçu dans sa concession de ce dernier. C’était un amateur de tennis. Il allait souvent taper dans la balle au court de la BEAC. Monsieur Gimenez était un homme plutôt placide. Malgré notre turbulence, il gardait son calme. Son cours était agréable. En partant de l’école primaire, je n’avais pas un grand amour des lettres. Mes lacunes en orthographe devaient sans doute nourrir ce désamour. Mais grâce à lui, j’avais envie de bien parler cette langue et de me plonger dans les livres. L’un de nos premiers cours portait sur l’étude d’un extrait du roman Black Boy - Jeunesse noire de Richard Wright. Jusqu’à ce jour, je prends plaisir à lire ce roman, notamment ce passage, quand la mère de l’auteur lui dit : « Prends cet argent, cette liste et ce bâton, dit-elle. Tu vas aller à la boutique faire les commissions, et si ces gosses t’embêtent, bats-toi avec eux. » Je me souviens encore de l’analyse de mon enseignant, vingt-huit ans après, comme si c’était hier. Aujourd’hui, j’ai un goût de mots qui me vient en partie des cours de ce monsieur. D’ailleurs, après le bac, je m’étais inscrit au département des Lettres modernes. Dommage, le concours de l’Institut National des Sciences de Gestion est passé par là.

En mathématiques, mon enseignant se nommait M. Mezui m’Obiang Bikoro alias le fils de l’homme. Ce monsieur mérite à lui tout seul une collection de livres, car il y a tant à dire sur lui. Il avait d’abord été instituteur avant de se reconvertir en professeur de mathématiques, après un passage à l’ENS. Virtuose du balafon, on le voyait, son groupe et lui, prester à tous les grands événements organisés dans la ville. Avant que la mairie ne se dote d’une fanfare, ce sont eux qui jouaient l’hymne national lors des cérémonies officielles. Mezui m’Obiang Bikoro était un fervent opposant dans l’âme. Mais il ne nous parlait jamais de toutes ces passions. D’ailleurs, quel intérêt des gamins de 12 ans auront à écouter des histoires de balafons et de politique ? Ce qui a façonné la réputation de ce monsieur reposait sur la pratique supposée des arts martiaux. Nul ne l’avait vu sur un tatami encore moins en Kimono. Mais personne n’était en mesure de douter de sa parole. Au contraire, on la propageait avec enthousiasme dans nos familles respectives. Par exemple, il prétendait avoir mis en déroute tout un village. Il nous disait que ces hommes et ces femmes l’avaient attaqué et qu’à mains nues, il les avait tous terrassés. On y croyait fermement. Tout comme quand il nous avait raconté son combat en compétition internationale, aux pays des blancs, contre un adversaire de plus de cent kilogrammes. Monsieur Mezui m’Obiang Bikoro mesurait à peine 1m60 pour peut-être soixante-deux kilogrammes. Mais la crédulité de l’enfance nous interdisait tout potentiel doute. Ainsi, toute cette mythologie a fini par faire de lui, un homme craint par ses élèves. Durant ses cours, il y régnait un silence de cathédrale. Malheur à celui qui osera rompre cette quiétude. Comble de la malchance, le sort s’abattit sur Joël et moi. Cela devait être notre troisième ou quatrième cours, nous étions en train de bavarder ce qui courrouça notre enseignant. Il nous invita à venir nous mettre devant la classe. Puis, il nous intima l’ordre de nous gifler mutuellement. Mon ami me mit une claque qui n’aurait même pas pu tuer une mouche. Le fils de l’homme n’était pas du tout content. Il nous menaça en nous rappelant que nous avions la chance qu’il nous ait laissé la possibilité de nous frapper. Car, s’il devait s’en occuper, on n’aurait eu droit qu’à deux issues : une très longue hospitalisation ou un aller sans retour au cimetière. Après ces mots, mon ami de tous les jours m’envoya un coup qui faillit me déboîter la mâchoire. Le mien n’était pas digne de Tyson, mais j’y avais vraiment mis toute mon énergie. On regagna nos places en ayant les yeux pleins de larmes. Tenez une dernière anecdote. Un jour, on venait de sonner la fin de la récréation, une jeune dame était toujours en train de parler à son amie qui était assise dans notre salle de classe. Elle avait tout son corps à l’extérieur et une partie de sa tête traversait le perron de la porte. Or Le fils de l’homme n’était pas très loin de là. Tel un vieux maître du temple Shaolin, du haut de ses cinquante années de vie révolues, il leva sa jambe avec sagacité et la fit passer devant le visage de la jeune intruse. Cette dernière fut prise d’un étonnement qui sclérosa momentanément tous ses membres. Ce spectacle inédit poussa toute la classe à acclamer notre enseignant comme l’auraient fait les supporteurs d’Azingo national à la suite d’un geste technique de Théodor Nzue Nguema au Stade Omnisport Président Omar Bongo. Il était ainsi le célèbre monsieur Mezui m’Obiang Bikoro qui nous a malheureusement quittés il y a plusieurs années.

Mon année de sixième fut belle et ponctuée d’un résultat positif. Par contre, c’est lorsque je suis arrivé en cinquième que les choses se dégradèrent. Au bout de deux ans, je ne puis franchir cette classe et j’ai naturellement été exclu dudit établissement, car le triplement n’était pas permis. J’y suis revenu plusieurs années après de la seconde jusqu’en terminale. Ironie du sort, je passai les épreuves écrites du baccalauréat dans la salle où nous étions en sixième.

Au-delà de l’instruction qui sans tout le principal viatique de mon être, cet établissement m’a apporté beaucoup de choses. En son sein, j’ai croisé la plupart des gens avec lesquels je commerce aujourd’hui. J’y ai bâti des amitiés qui ont valeur de fraternité. Ce lycée m’a tellement marqué que j’ai souvent l’impression, quand j’y suis, d’être à un autre chez moi. Aucun établissement n’a sa valeur sentimentale dans mon cœur excepté, bien sûr, l'école de mon enfance. On est du pays de son enfance, disait quelqu’un. En cette semaine de célébration, je lui souhaite longue vie. Qu’il continue de former des gens capables d’apporter de la valeur à notre société. C’est la raison pour laquelle nous devons remettre l’école au centre du village même si d’aucuns pensent autrement. Et comme nous sommes le 23 mars, je profite de cette Journée Nationale de l’Enseignant pour dire merci à tous celles et ceux qui nous ont formés au sein de ce beau lieu de l'intelligence. 

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