À l’époque des ignames : au stade

Publié le par Nguema Ndong

À l’époque des ignames : au stade

C’est la Coupe du monde, une bonne partie des 95 % des Gabonais qui ne regardent jamais les programmes de Gabon Télévision se sont à nouveau câblés à la chaîne nationale comme à l’époque du parti unique ou à celle des prix prohibitifs des abonnements. Les adeptes de Novelas et A+ vont perdre le monopole de la télécommande pendant un long mois. C’est l’occasion pour moi de vous raconter une petite histoire relative au sport roi.

C’était à Oyem, en 1995. L’équipe de l’école de mon village participait au tournoi local de l’OGSSU. Les matchs se jouaient au stade municipal d’Akoakam. J’avais douze ans à l’époque et mon père était contre le fait que j’y aille très loin de la maison. Le stade se trouvait à des kilomètres de chez nous. Face aux nombreux récits des exploits de notre équipe, à un moment donné, j’ai malheureusement désobéi à mon père, je n’en suis pas fier. Car je voulais voir de mes propres yeux comment mes condisciples de classe et amis de tous les jours gagnaient ces rencontres. En plus, nous venions de nous qualifier pour la demi-finale. Le directeur passait dans toutes les classes afin d’inciter les élèves à aller soutenir leurs camarades. Mon cousin, Assoumou Ovono Léonard, était mon enseignant et accessoirement l’entraîneur. C’était un passionné de football. Plus jeune, il avait décidé de se faire appeler Jordao, en hommage au joueur portugais. D’ailleurs, on l’appelle encore aujourd’hui Dao. Après chaque rencontre, il chicotait tous ceux qui n’allaient pas au stade. Un jour, je lui ai dit que je n’allais pas subir ses sévices alors que c’est son oncle qui me bloquait à la maison. Du coup, il alla régler cela avec mon père. Dès cet instant, j’avais la possibilité d’aller en toute quiétude aux matchs. Je n’avais plus peur d’être vu par un délateur comme ce fut le cas à une ou deux occasions auparavant.

Le jour du match arriva. C’était un mercredi après-midi. Une bonne partie des CM2 étaient de la partie. Après les cours de la matinée, nous partîmes de Mbwema jusqu’à Akoakam à pied, les joueurs y compris. C’était une sorte d’échauffement. Le stade était plus rempli que d’habitude. Les élèves des autres établissements éliminés étaient dans les gradins, ils cherchaient sans doute un peu de divertissement, car Oyem en était grandement dépourvu. Nous affrontions l’école catholique de Saint-Basile. Leurs supporteurs avaient également fait le déplacement en masse. Cette équipe bénéficiait d’une bonne réputation. Mais nous avions confiance aux nôtres. Parmi nos joueurs, il y avait mes cousins et mes neveux, dont l’enfant de ma grande sœur le bien nommé Obiang Obiang Ludovic qui se faisait appeler Al. Capone. Il n’était pas très doué sur un terrain de football. D’ailleurs quand vint le moment de la composition de l’équipe, l’entraîneur décida de le garder sur le banc. Cela n’étonna personne. Nous avions de la ressource. Certains de ces joueurs ont fait carrière dans le domaine tel que mon cousin Bibang ba Mvé Ghislain alias Zidane qui a longtemps joué dans le championnat national.

Le match commença, comme on s’en doutait, l’équipe adverse prit le contrôle du jeu. Ils avaient du répondant. Notre gardien, Hyacinthe Engwang Edzang, par ailleurs mon cousin, subissait les assauts de leurs attaquants. Ils nous mangeaient en milieu de terrain. On avait du mal à construire la moindre action. Ils étaient véloces et physiques. Et comme on s’en doutait, au bout d’une dizaine de minutes, ils ouvrirent le score à la suite d’une frappe phénoménale. Ce but jeta un froid sur tout notre groupe de supporters. On craignait maintenant le pire, parce qu’ils n’avaient pas baissé d’intensité. On avait l’impression qu’une cinglante défaite s’annonçait à l’horizon. L’arbitre siffla la mi-temps. Par miracle, notre équipe avait résisté aux assauts de nos adversaires. Nous descendîmes en masse entourer nos joueurs afin de nous imprégner des consignes de l’entraîneur. C’est alors que ce dernier demanda à Obiang Obiang d’aller s’échauffer. Nous étions tous stupéfaits, voire mécontents de cette proposition. On avait besoin d’un renfort, de quelqu’un capable de changer le cours du jeu et d’après nous, il n’était vraiment pas la personne indiquée pour cela. Parmi les remplaçants, il y en avait des plus douées que lui à notre avis. Mais nul n’avait le pouvoir de remettre en cause la décision de notre enseignant. On devait subir ses choix.

Le match reprit et les choses n’avaient pas changé. La domination de Saint-Basile demeurait intacte. Quelques minutes après, Obiang Obiang fit son entrée. On boudait au bord du terrain vu que nous n’avions pas regagné les gradins. Curieusement, le jeu changea. Nos attaquants apportaient maintenant de la percussion dans la défense adverse. Nous dominions Saint-Basile. On gagnait tous les duels. Toutefois, il ne restait plus beaucoup de temps. Nos cœurs battaient la chamade. Mais au cours d’une nouvelle percée aux abords de la surface de Saint-Basile, on faucha Bibang ba Mve Ghislain. L’arbitre siffla un coup franc. Alors un autre de mes cousins Allogho Luther alias Mister King se saisit du ballon. Pour ceux qui ont bonne mémoire, en 1994, le groupe V2A4 sortit sa chanson New black generation et à l’entame du premier couplet, Klaus rappe : « Mister King, l’homme de la non-violence ». C’est donc ce qui avait inspiré mon frère. Bref ! Il était l’une de nos vedettes, le meilleur buteur de l’équipe. On le savait bon tireur. Il prit son élan, nos souffles se coupèrent. Au lieu d’envoyer le ballon vers la cage du gardien, il l’expédia au niveau du point de penalty. Comble de l’irréel ! Obiang Obiang était positionné à cet endroit et il sauta plus haut que tout le monde. D’un coup de tête féroce à la façon d’Oliver Bierhoff, il logea la balle au fond des filets. On exulta comme des fous. On se jeta en courant sur l’aire de jeu. Il ne s’agissait pas seulement des élèves. Ah non ! Le maître Assoumou Ovono vêtu d’un costume noir était devant et nous le suivions. Imaginez la scène. Un homme en costume qui court avec des souliers sur un terrain de football. Cela aurait pu susciter l’hilarité, sauf que là, l’instant était trop beau pour rire des gens. Obiang Obiang Ludovic que nous avions contesté bien avant venait de se transformer en héros. Celui que nous avions conspué, voué aux gémonies quelques minutes plus tôt, on le portait maintenant aux nues. Je ne cessais point de crier qu’il était l’enfant de ma sœur comme si quelqu’un me le discutait. Cela illustrait bien la labilité des supporteurs de football.

La rencontre prit quelques minutes d’interruption avant de reprendre, car l’arbitre eut du mal à évacuer le terrain. Quand cela fut fait, les choses devinrent encore plus difficiles à gérer. Notre but avait affecté le moral de nos adversaires. Leur agressivité s’amplifia. Ils multiplièrent des fautes grossières qui ressemblaient plus à des agressions. C’est alors qu’un de nos joueurs, las d’encaisser toute cette violence, après un nouveau tacle, en se relevant, il assena un coup de poing en pleine poitrine à son vis-à-vis. Comme si ses coéquipiers n’attendaient que cela, le match se transforma en pugilat généralisé. Pour ceux qui ont cru qu’à douze ans, j’étais parmi les plus vieux de ma classe, il n’en était rien du tout. Nous étions en 1995 et dans ma classe, je peux vous garantir que certains avoisinaient les vingt ans. Et dans l’équipe d’en face, ce n’était pas différent. Ainsi, nous qui étions les plus jeunes, nous prîmes nos jambes au coup pour ne pas finir à l’hôpital. La bagarre dura une bonne demi-heure. Quand on voulut reprendre le match, le soleil était parti et le stade n’était pas éclairé ce soir-là. Les officiels reportèrent la rencontre. Heureusement, notre équipe prit le dessus lors de ce nouveau match et elle se qualifia pour la finale qu’elle perdit contre l’école protestante André Minsta.

 

Ce qu’il faut retenir de cette histoire, c’est qu’il ne faut jamais négliger une personne, car on ne sait jamais de qui le salut va nous arriver. Ce jour-là, Obiang Obiang que nous réglions nous tira d’une situation compliquée. Merci mister Capone ! 

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