L'amère saveur de la naïveté (3e partie)

Publié le par Nguema Ndong

L'amère saveur de la naïveté (3e partie)


La rencontre

Cela faisait déjà trois mois qu’Eyui et Mengue avaient emménagé dans leur modeste chambre. Les deux jeunes dames occupaient leurs week-ends à étudier et à faire la lessive voire le ménage chez les particuliers. Ces petits salaires leur permettaient de payer leur loyer en attendant la bourse. Puis un samedi après-midi, alors qu’Eyui revenait de ce qui lui servait de gagne-pain, en portant sur ses frêles épaules le poids de la semaine et l’épuisement de la tâche de ce jour, un SUV tout neuf ralentit à côté d’elle. Puis il se gara devant. Pendant qu’elle continua sa marche sans accorder la moindre importance à ce véhicule, elle entendit une voix s’y échapper qui semblait l’interpeller. « Mademoiselle ! Mademoiselle ! S’il vous plaît ». De ce fait, elle marqua le pas. Dans l’automobile, elle vit un homme d’une bonne trentaine d’années qui portait une barbe fournie bien soignée. Il vêtissait un costume sobre et une cravate noire. Le monsieur avait de l’allure. Puis celui-ci lui dit d’une voix calme : « Mademoiselle. Désolé de vous interrompre dans votre élan. Puis-je me permettre de vous proposer de vous avancer ? » Eyui se vit dans une sorte d’indécision. Elle ne savait pas quoi répondre à cette proposition. La vie austère qu’elle avait toujours menée l’avait privée de ce type d’expériences. Par ailleurs, on lui avait appris comme le disait Camus que : « l’honneur est la dernière richesse du pauvre ». Et pour le préserver, elle refusait toute aide qui ressemblait à de la charité. Sa fierté lui interdisait de monter dans ce véhicule. Or son corps et son cœur lui parlaient un autre langage. En effet, elle était prise de fatigue. Son domicile se trouvait à plus de deux kilomètres de là. Ce petit coup de main allait indubitablement la soulager. En outre, Eyui n’était pas insensible au charme du bel inconnu qui lui adressait la parole. D’ailleurs, aussi loin qu’allaient ses souvenirs, un tel apollon ne s’était jamais intéressé à elle. Lasse de toutes ces réflexions, machinalement, elle ouvrit la portière et s’installa dans l’automobile. Le monsieur esquissa un rictus en la regardant monter. Après que celle-ci referma la portière, un dialogue commença entre les deux. 

  • L’inconnu : Comment s’appelle la charmante dame ?  
  • Eyui : Eyui. Répondit-elle d’une voix tremblante.
  • L’inconnu : Décidément, comme le disait Paul Eluard : « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous ». Tu portes le même nom que ma mère. D’ailleurs, c’est de chez elle que je reviens. Et dire que je ne devais pas venir ici aujourd’hui. Et me voilà en compagnie d’une autre Eyui. Que cela me rend content ! 
  • Eyui : Et toi, comment te nommes-tu ?
  • L’inconnu : Je m’appelle Ovono. Je suis enchanté de faire ta connaissance. Alors, où dois-je conduire madame Eyui ? 
  • Eyui : Je descends au Grand carrefour.
  • L’inconnu : ça tombe bien, c’est sur mon chemin.

Ovono démarra le véhicule, ils continuèrent leurs conversations. Au fil des questions, Eyui qui semblait intimidée commençait à trouver la plénitude de son assurance. La discussion devenait de plus en plus agréable. Alors chacun put se présenter plus en avant. De ces vagues échanges, Eyui apprit qu’Ovono travaillait dans une banque qui jouissait d’une grande notoriété. Quant à sa tenue vestimentaire du jour, cela était consécutif à une réunion à laquelle il avait assisté en matinée. Elle sut également grâce à l’anneau présent à son annulaire gauche qu’il était marié. Quand elle voulut le questionner dessus, il lui répondit laconiquement : « c’est un peu compliqué à expliquer en si peu de temps ». Alors, ils poursuivirent leur entretien. Ainsi, tout au long du trajet, Ovono ne tarissait pas d’éloges à l’endroit d’Eyui. Il louait son courage, notamment le fait de travailler tout en allant à l’école. Il parlait également de son intelligence en se référant à ce qu’elle lui avait dit de son parcours au secondaire et bien évidemment de sa beauté. Et cela n’était pas de vains mots. En effet, Eyui était une jolie fille qui malheureusement ne savait pas mettre en valeur son potentiel physique. À son âge, elle ne savait pas se maquiller et ses vêtements couvraient l’intégralité de son corps. Mais cela n’empêchait pas que l’on puisse apercevoir la générosité de ses formes et surtout de succomber aux charmes de son regard profond. Car ses grands yeux noirs ne laissaient personne indifférent. Eyui était tel un diamant brut qui n’avait pas encore été poli et que seuls les plus doués des diamantaires pouvaient déceler l’immensité de sa valeur. Ovono semblait appartenir à cette catégorie d’individus. 

 

Puis ils arrivèrent à l’endroit qu’Eyui avait indiqué à Ovono pour la déposer. Il se gara sur le côté. Avant qu’Eyui n’ouvrît la portière pour descendre, Ovono en profita pour lui demander son contact, car il voulait continuer la discussion pour mieux la connaître.

  • Ovono : Eyui, ne me dis pas que c’est la seule et unique fois que nous avons la chance de discuter. M’accordes-tu l’honneur de te revoir une prochaine fois ?
  • Eyui : Je ne sais pas trop. Avec les cours et les boulots que je fais à gauche et à droite, je n’ai pas souvent beaucoup de temps à accorder aux gens. 
  • Ovono : S’il te plaît. Pourrais-tu faire cet effort pour moi ? Il est vrai que l’on ne se connaît pas assez. Toutefois, le peu de temps que nous venons de passer me donne une forte envie de continuer cette discussion. Qu’en penses-tu ? 
  • Eyui : J’avoue que j’ai la même impression. Comme je te le disais, je ne suis pas contre le fait de se revoir, mais ma disponibilité peut être un frein à cette ambition. 
  • Ovono : Je comprends. Cependant, peux-tu me donner ton numéro de téléphone pour que je puisse t’appeler afin de savoir quand tu pourras m’accorder du temps ? 
  • Eyui : Volontiers ! Toutefois, je tiens à te préciser que ce n’est pas un smartphone. Par conséquent, je ne suis joignable que par SMS et appels téléphoniques.  

Eyui dicta son numéro de téléphone à Ovono. Puis elle descendit du véhicule. Celui-ci était toujours garé. Ovono la regardait avancer avant de disparaître entre les maisons. C’est à ce moment qui démarra son véhicule. Quant à Eyui, elle était bouleversée par cet instant qu’elle venait de vivre. Elle était vraisemblablement sous le charme d’Ovono. Elle le trouvait cultivé, sobre et élégant. Malgré sa situation sociale qui semblait plutôt bonne, dans sa manière de lui parler, Ovono faisait montre de plein d’aménité. En plus, il n’avait pas la morgue que l’on retrouvait souvent chez certains matamores un peu nantis. Il avait une expression corporelle et orale soignée. Eyui qui n’avait eu jusque-là que de vagues échanges platoniques avec des garçons à peine sortis de la puberté, cette fois-ci, elle venait de discuter avec un homme mûr. Le genre qui incarnait à ses yeux ce qu’Aristote appelait l’entéléchie d’un homme dans la société, c’est-à-dire l’accomplissement ou la perfection. Et c’est l’un d’entre eux qui semblait vouloir autre chose que son amitié. Mais une zone d’ombre planait sur tout cela. Pourquoi Ovono n’a-t-il pas souhaité parler de son épouse ? Et d’ailleurs pour quelle raison un homme marié venait-il faire la cour à une autre femme ? Eyui avait la tête pleine d’interrogations. Il lui tardait donc d’en avoir les réponses. Toutefois, son cœur était rempli de joie. Elle voulait même courir afin d’aller raconter son aventure à sa colocataire. Malgré la maturité qu’elle manifestait dans plusieurs domaines, Eyui demeurait inexpérimentée en matière d’amour. Son innocence et surtout son inconnaissance des relations entre les hommes et les femmes affectaient vraisemblablement sa bonne lecture des choses. Eyui manifestait une incroyable crédulité. Elle avait l’impression de vivre un conte de fées. À la lime si elle ne pensait même pas qu’elle avait croisé son prince charmant. Et lorsqu’elle arriva à leur domicile, elle se précipita vers Mengue dans l’optique de lui raconter l’aventure qu’elle venait de vivre. Celle-ci percevait un rare enthousiasme dans les mots d’Eyui comme jamais auparavant. Elle comprit que sa colocataire était éprise d’admiration pour ce fameux Ovono avec qui elle avait échangé quelques mots. Il s’imaginait la difficulté à laquelle elle ferait face afin d’attiédir cette eau qui bouillait en Eyui. Mengue avait une relative meilleure expérience dans le domaine par rapport à Eyui. Depuis sa mésaventure avec le géniteur de son enfant, elle développait une crainte des hommes qui caressait la misandrie. Par conséquent, elle l’a mise en garde. Car pour elle, Ovono avait potentiellement du charme, cependant, deux faits lui posaient problème. Que pouvait bien chercher un homme de plus de trente ans chez une jeune fille de dix-huit ans ? Leur écart d’âge soulevait la première interrogation. Quant à la deuxième, elle portait sur le statut matrimonial de ce monsieur. Il avait dit à Eyui que les choses n’étaient pas faciles à expliquer, ce qui ajoutait plus d’ambiguïté à sa personne. Ainsi, Mengue conseilla à Eyui de ne pas trop s’emballer et de demeurer prudente. Elle lui rappela que certains hommes, particulièrement les mariés, étaient bien mesquins. Ils fricotaient avec des gamines dans le dessein de se divertir, de croquer des fruits verts et de sortir momentanément de la monotonie de leur foyer conjugal en s’encanaillant un peu, le temps d’une amourette. Pour elle, ce n’était qu’une engeance de vendeurs d’illusions dont il fallait impérativement se méfier. Eyui semblait attentive aux propos de Mengue. Elle l’écoutait religieusement avant de lui promettre de prendre en considération tous ces avertissements. Ce soir-là, Eyui reçut un long SMS d’Oyono qui lui souhaitait une agréable nuit sans oublier de lui rappeler le plaisir de l’avoir croisée et d’avoir pu échanger ces quelques paroles avec elle. Il lui promit de lui téléphoner dans les jours à venir. Avant de dormir, Eyui lut et relut le message. Ses yeux scintillaient d’allégresse. Elle donnait l’impression d’avoir gagné une cagnotte. Son cœur battait tellement vite qu’elle avoua à sa colocataire qu’elle n’avait jamais ressenti cela. Elle se demandait si ce n’était pas l’amour qui naissait. Mengue n’eut pas les mots pour lui répondre. Elle se contenta de la darder d’un regard désappointé. En fait, elle se voyait en elle plusieurs années en arrière.

 

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