Le destin d’Abeng et d’Ekom (cinquième partie)

Publié le par Nguema Ndong

Le destin d’Abeng et d’Ekom (cinquième partie)

Après une folle course de quelques kilomètres sur une route déserte, Abeng ralentit sa foulée. Elle s’approchait du village Engongome. Elle savait qu’à cette heure de la nuit, tous les habitants étaient plongés dans le sommeil. Elle marchait sur la pointe des pieds. Tout simplement, parce que si par malheur quelqu’un l’apercevait, il devrait donner l’alerte. D’ailleurs, de nombreuses résidentes la connaissaient. Elles la croisaient souvent au camp ou à la pêche en compagnie d’Akoma. Sans courir à nouveau, elle pressa son pas. Et quand elle arriva à la lisière du village, elle reprit sa folle course. Elle voulait sortir de là, car elle était encore dans la zone d’influence de Mengome. Melene et Zogogone, les villages suivants, étaient également calmes. La ville n’était plus très loin, il ne lui restait qu’à traverser Amvame. Contrairement aux deux autres, l’ambiance à l’approche d’Amvame détonait. Abeng entendait le son des tambours et des chants qui émanaient de là-bas. Cela supposait que les gens de ce village ne dormaient pas. Par conséquent, il lui serait difficile de le traverser sans susciter des interrogations chez les habitants. Alors qu’elle avait le village à portée de vue, exténuée par son périple, elle décida de marquer un arrêt et de réfléchir à la stratégie à adopter. Dans le noir, elle crut voir un vieux tronc d’arbre sur lequel elle s’assit en somnolant. Cependant, Abeng ignorait qu’Amvame était frappé par un deuil et que c’était le soir de la veillée mortuaire. À cette époque, lorsqu’une personne décédait d’une maladie inconnue, afin d’éviter le développement d’une épidémie, on conseillait aux gens de ne pas se regrouper autour du cercueil du défunt. Par contre, le temps de la veillée, ils devaient le poser à la sortie du village où se situait généralement le cimetière. De ce fait, le matin, on procédait directement à l’enterrement. Toutefois, conscients des sordides histoires de vols de cadavres qui circulaient, les villageois commissionnaient de temps en temps des gens pour s'assurer que le cercueil était toujours au même endroit. Et c’est ce qui se passait à Amvame ce soir-là. C’est alors que vinrent trois hommes pour vérifier si le cercueil n’avait pas été profané. Curieusement, ils virent une personne assise dessus. Ils n’allèrent pas par quatre chemins. Ils déduisirent que le mort était ressuscité. Ils rebroussèrent chemin en criant à tue-tête : « le mort est assis sur son cercueil ». Les cris d’effroi des trois malheureux firent sortir Abeng de son léger sommeil. Grâce à ces hommes, elle se rendit compte qu’elle était assise sur un cercueil et cette idée l'effrayait également. Du coup, elle se leva prestement et elle se mit aussi à courir vers le village pour ne pas subir la foudre du mort. Elle fuyait le cercueil et les autres la fuyaient également. Cela donnait un spectacle cocasse. Quant à ceux qui étaient restés à la veillée, ils virent le trio arriver en catastrophe en évoquant la présence d’un fantôme et derrière eux, une jeune femme que personne ne connaissait semblait les poursuivre. Ce fut la débandade totale. Le sauve-qui-peut. Les gens couraient dans tous les sens, enfants, vieillards, femmes enceintes, c’est-à-dire tout le monde. Personne ne cherchait à comprendre ce qui se passait. L’important à cet instant était de se mettre à l’abri. On avait l’impression qu’une bombe venait d’exploser à Amvame. Les gens pleuraient et criaient. Les maisons se fermaient. Nul ne souhaitait être la proie de ce revenant. D’ailleurs, aucun individu n’eut le courage d’interpeller Abeng. Elle profita de ce charivari pour traverser Amvame alors qu’il aurait pu être une entrave à sa bonne progression vers Mbwema. Oui ! Abeng avait décidé de repartir chez ses parents. Elle était consciente que Mezui rentrerait dans une colère noire et qu’il tempêterait. Mais elle n’ignorait pas, malgré son jeune âge, ce proverbe Fang qui dit : « L’enfant est comme une vieille machette. Quand elle vous blesse, vous la jetez. Mais quelque temps après, vous en avez besoin et vous allez la rechercher ». Ainsi, malgré leur courroux, ses parents ne pourront jamais l’abandonner. En plus, Mengome ne pourra lui faire aucun mal devant ces derniers. Il sera contraint de se contenter des mots. A contrario, si elle restait à Minka’a, celui-ci l’aurait copieusement battue. Qui sait, il lui aurait probablement ôté la vie en comparaison à l’affront qu’elle lui avait fait. 

 

Au petit matin, en ouvrant la porte de sa cuisine pour s’apprêter à partir au champ, Adou fut grandement stupéfaite de constater qu’Abeng était allongée contre le mur en position fœtale. Elle ignorait depuis combien de temps elle y était arrivée. Néanmoins, elle se douta qu’un malheur était survenu. Car rien d’autre ne pouvait justifier sa présence à Mbwema qui se situait à des kilomètres de Minka’a. Bouleversée et prise de panique, elle se précipita vers son enfant afin de s’enquérir de son état. Elle la secoua légèrement pour la réveiller. Et lorsqu’elle revint à elle, Abeng lança un joli sourire qui rassura momentanément Adou. Elle la releva pour la conduire à l’intérieur de la maison. Et là, elle la coucha dans un lit sans rien lui demander. Puis, elle envoya Mboulou appeler en toute urgence Ayingone et Mezui. Elle lui précisa de presser le pas. Le jeune garçon se hâta donc vers la vieille case de sa grand-mère. Quand il arriva, il frappa avec instance à la porte et Ayingone, qui devenait de plus en plus atrabilaire avec l’âge, maugréa quelques douces méchancetés. À cause de l’outrage du temps, sa fréquentation des champs avait considérablement diminué. De fait, il lui arrivait souvent de prendre son temps à dormir et c’est ce qu’elle envisageait ce matin. Elle quitta donc son lit en ayant les nerfs à vif. Et durant qu'elle constata que c’était Mboulou qui venait la perturber, elle crut que c’était l’un de ses nombreux tours qu’il lui jouait. Elle le menaça de le frapper à l’aide de sa canne. Mboulou l’informa qu’il avait été envoyé par Adou, car elle souhaitait lui faire part d’une situation délicate. Ayingone en voulut savoir plus, Mboulou lui répondit ipso facto qu’Abeng avait fui son domicile conjugal et qu’elle était dans la cuisine de sa mère. Dès qu’il transmit ce message, il ne laissa point l’occasion à Ayingone de dire un seul mot, il tourna les talons en direction de la maison de Mezui. Celui-ci vivait maintenant avec cette femme nommée Ofoyeng qu’il avait épousée grâce à la dot d’Abeng. Là-bas, Mboulou trouva tous les occupants de la maison debout. Il les salua et il communiqua le message d’Adou. Mezui se couvrit à l’aide d’une chemise pour se rendre à la maison de sa première épouse. Il voulut également en savoir davantage, mais Mboulou avait repris le chemin de la maison de sa mère à vive allure. Quand Mezui arriva chez Adou, Ayingone était déjà assis au chevet de sa petite-fille qui ne disait pas mot. Mais lorsqu’elle vit arriver son oncle, elle fondit en larmes. Elle semblait craindre sa réaction, car nul n’ignorait son irascibilité. Mais paradoxalement, il garda son calme et vint d’abord savoir si elle allait bien. Ce n’est qu’à la suite de cela qu’il lui demanda de lui raconter ce qui s’était passé. Le récit d’Abeng fit pleurer Adou, elle imaginait tous les dangers qu’avait courus sa fille en décidant de prendre la route en pleine nuit. Sans oublier l’honneur qu’elle avait subi dans la chambre de ce vieux pervers de Mengome. Pour elle, Abeng méritait tous les éloges du monde pour sa bravoure. Très peu de femmes avaient montré autant de courage. Pour la plupart, elles subissaient les décisions des autres. Elle se contentait d’accepter de ce que l’on voulait d’elles. Mais du haut de ses douze années sur terre, Abeng venait de donner une leçon de courage à toutes ses sœurs, ses mères et même ses grand-mères. Elles venaient de leur démontrer que le choix de devenir les sujets de leur existence ne dépendait que d’elles. Mais pour l’heure, tout dépendait encore de l’appréciation de Mezui. Qui, après avoir écouté le récit d’Abeng, se retourna vers Ayingone et Adou pour leur dire que les choses étaient compliquées. Un truisme. Il leur prévint que Mengome réagirait avec véhémence à cet incident. Par conséquent, ils devaient trouver une solution qui satisferait les deux parties.

 

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