Les contes de mon enfance : la femme et la créature

Publié le par Nguema Ndong

Les contes de mon enfance : la femme et la créature

C’est une histoire, un conte, une sagesse que nous racontait souvent notre mère lorsque nous étions enfants. Aujourd’hui encore, devant certaines situations, je m’en souviens comme si c’était hier.

 

Il y a très longtemps, au village N’nam-Bingouba, vivait une jeune veuve nommée Okome. Elle élevait toute seule ses nombreux enfants. Après la mort de son mari, elle avait décidé de rester célibataire. Elle refusa de choisir un autre homme pour partager sa vie. D’aucuns disaient que le souvenir de son défunt mari la hantait. Nul ne trouvait à redire par rapport à son choix. Pour nourrir sa progéniture, Okome ne comptait que sur les produits de son agriculture et de la pêche. Il ne passait pas un seul jour sans qu’elle aille dans la forêt. Elle ne se reposait jamais. Les autres femmes lui reprochaient maintes fois de trop travailler et elles la mettaient en garde contre d’éventuelles répercussions sur son état physique. Mais Okome n’avait cure de toutes ces récriminations. Comment aurait-elle pu se permettre de lever le pied ? Elle n’avait pas trop le choix. La vie ne lui faisait pas de cadeaux. Sa fierté lui interdisait de voir ses enfants pleurer de faim et pour rien au monde, elle n’aurait emprunté le sentier de la charité. Son éducation ne l’accepterait jamais. Ses parents lui ont inculqué le respect de l’honneur et de la fierté. Alors contre vents et marées, elle se tuait à la tâche en hypothéquant ainsi sa santé.

 

Un jour, ni un homme ni une femme n’avait pris le chemin de la forêt, car un deuil frappait le village. En ces temps-là, tous les adultes se devaient d’être présents à l’enterrement du défunt. Mais la veille, Okome et ses enfants avaient épuisé leurs dernières réserves de nourriture. La jeune veuve n’avait pas le choix, elle semblait condamnée à trouver une solution. La seule qui s’offrait à elle, c’était de braver l’interdit, c’est-à-dire d’aller chercher la subsistance dans la forêt. Et comme c’était la grande saison sèche, la première idée qui lui vint à l'esprit, c’était la pêche. Ainsi, à l’insu des autres habitants de N’nam-Bingouba, à l’exception de sa progéniture, elle décide d’aller à la rivière Otong-Bissingang y capturer quelques poissons. Elle dit au revoir à ses enfants en leur promettant d’être de retour avant la tombée de lui et si possible d’être là pour l’enterrement. Elle emprunta un sentier derrière sa maison, elle marcha pendant près d’une heure avant d’arriver à sa destination. Un silence assourdissant régnait à cet endroit. Seuls les gazouillements de quelques oiseaux se faisaient entendre çà et là. Et parfois, les plongeons des grenouilles dans le peu d’eau qui restait venaient troubler cette quiétude. C’était le début de la saison de la pêche, la période la plus poissonneuse. Okome ne pensait plus qu’aux merveilleux mets qu’elle concocterait à sa petite famille. Plus rien n’occupait son esprit si ce n’était de remplir son panier et de rentrer retrouver les siens pour se gaver de silures, de crabes, de crevettes, etc.

Au début de la saison de la pêche, les femmes érigent une grande digue, à l’aide de morceaux de bois et de vase, sur une partie de la rivière. En général, celle-ci permet de ralentir le flot d’eaux qui arrive de l’amont. Cela assèche un peu plus l’aval en rendant la pêche plus aisée. On l’appelle en Fang Miok Mfiê. Ainsi, Okome n’avait plus qu’à parcourir l’aval pour y trouver un endroit pour pêcher et ce qu’elle fit. À son tour, elle érigea deux autres petites digues afin de limiter l’étendue dans laquelle allait s’atteler. Tout paraissait une issue favorable. Il n’y avait pas beaucoup d’eau et elle voyait des poissons sautiller. Quand l’étendue fut quasiment vidée de son eau, Okome entreprit de capturer les poissons à l’aide de sa nasse et de le mettre dans le petit panier qui était attaché à son tour de rein. À peine avait-elle commencé qu’elle captura une créature qui ne ressemblait à rien qu’elle n’avait vu depuis sa naissance. Cette chose hideuse ressemblait à la fois à un poisson et à un animal. Puis lorsqu’elle voulut la toucher, la créature hurla : « Bas les pattes ! N’ose pas poser tes mains sur moi ». Okome s’ébaudit à la limite de la rupture d’anévrisme. Son cœur battait la chamade. Elle semblait faire une crise d’angoisse. Elle n’en croyait pas ses oreilles. Elle n’avait jamais imaginé entendre des paroles sortir de la gueule d’une créature aquatique. Nul dans son entourage n’avait connu pareille mésaventure. D’ailleurs, cette chose immonde se mit à pleurer en ayant la voix d’un vieillard. Okome ne put retenir ses larmes. Pour elle, ce mystère était l’œuvre d’esprits mal intentionnés. Ils voulaient certainement l’effrayer pour une raison qu’elle n’ignorait pas. Toutefois, sans savoir comment, Okome était restée debout sans avoir renversé la nasse. Elle semblait être immobilisée par une force externe. Ni ses bras ni ses jambes ne bougeaient. Alors la créature, tout en sanglotant, entama un dialogue avec elle.

 

  • La créature : Femme, tu es venue ici, personne ne t’y a invitée et tu as troublé ma tranquillité alors que tout le village est recueillement. Il faut que tu trouves une solution immédiatement.   
  • Okome : Puis-je te rejeter dans l’eau ? dit-elle fébrilement. 
  • La créature : Non ! répondit-elle avec véhémence.
  • Okome : Puis-je te mettre dans mon panier et t’amener au village ? 
  • La créature : As-tu perdu la tête ? Me vois-tu finir dans les assiettes de tes enfants ? Femme, je ne veux ni repartir dans l’eau ni me retrouver dans ton panier. À toi de trouver une solution. J’attends. La chose reprit ses pleurs à gorge déployée.

 

La situation était devenue si complexe pour Okome qu’elle se mit aussi à pleurer. La chose ne lui adressait plus la parole. Elle hurlait tellement que les oreilles d’Okome chauffaient. D’ailleurs, elle ne pouvait pas les boucher. Alors, elle demandait pardon à son interlocutrice, mais celle-ci ne faisait pas cure de cela. Okome semblait perdue dans un dédale. Aucune issue ne paraissait à l’horizon. Elle maudissait cet instant quand elle décida de braver l’interdit et de prendre le chemin de la forêt. Okome pleurait à chaudes larmes, cependant la créature demeurait impassible à ce chagrin. La nuit tomba, les enfants d’Okome ne virent pas leur mère arrivée. Le lendemain matin, dès l’aube, ils alertèrent le village entier. Tous coururent à la rivière. Ils ne trouvèrent que la nasse et la machette d’Okome. La jeune veuve avait disparu. Personne ne la revit dans le village N’nam-Bingouba. D’après ceux qui ont les yeux et qui voient ce qui est invisible à tous (Beyem). Pour avoir bravé l’interdit, Okome a été capturée par les esprits protecteurs de la tribu. Il se dit qu’elle a été condamnée aux travaux forcés dans l’au-delà. Le soir, pour prendre des nouvelles de ses enfants, Okome apparaît souvent dans la lune ayant son panier au dos. 

 

 

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