L’amère saveur de la naïveté (1e partie)

Publié le par Nguema Ndong

L’amère saveur de la naïveté (1e partie)

 

« L’enfant ne sait que prendre et l’adulte, c’est celui qui donne »

Svâmi Prajnânpad

 


À Oyem

Melenga et Evouna ont toujours vécu à Oyem. Ils se sont connus dans leur canton, car ils étaient originaires de deux villages voisins. Après leur mariage, ils déménagèrent en ville pour y chercher fortune. Le couple avait une progéniture de cinq enfants. Trois filles et deux garçons. L’aînée de leur progéniture s’appelait Eyui. Elle avait hérité du nom de sa grand-mère maternelle. Jeune fille studieuse et casanière, elle incarnait l’espoir de sortir de la précarité de ses parents et elle leur donnait raison grâce notamment à ses bons résultats scolaires. En effet, le patriarche avait fait carrière à la Direction Régionale des Travaux Publics en qualité de manœuvre. Il appartenait à ces personnes qui étaient chargées de l’ensoleillement des routes cantonales et de la nationale. Avec son maigre salaire et les fruits des travaux champêtres de Melanga, la petite famille tirait le diable par la queue. Toutefois, il ne manquait jamais de nourriture à leur table. Les deux parents se battaient tant bien que mal afin d’alimenter convenablement leurs enfants et surtout de les envoyer à l’école. Comme beaucoup de personnes issues de milieux défavorisés, l’école était le principal carburant de l’ascenseur social. De toutes les façons, ils n’avaient pas un autre moyen de s’en sortir. Ils enseignaient le goût de l’effort, la solidarité et l’autonomie à leurs enfants. C’était un foyer qui vivait à la limite de la loi martiale. Les deux parents tenaient leur famille avec correction. Aucun gaspillage encore moins une jérémiade n’était permise. À dix ans, Eyui s’occupait déjà de ses cadets comme une adulte, car ses parents sortaient de la maison à l’aurore pour vaquer à leurs occupations et ne rentraient qu’au crépuscule. La fillette se chargeait de doucher, d’habiller et de nourrir les plus jeunes. Parfois, au retour des cours, elle préparait le dîner. Et quand elle arriva en sixième, elle n’avait pas les mêmes préoccupations que ses congénères. La compagnie de ses camarades de classe lui rappelait ses petits frères et sœurs. Eyui n’avait pas le temps pour les distractions des adolescentes. Elle éconduisait systématiquement tous les prétendants qui se présentaient devant elle. Elle avait une vie austère aux antipodes de celle que l’on peut imaginer pour une enfant de son âge.  

 

Eyui poursuivait son parcours secondaire sans embûche. Elle était déjà en première. Mais un jour son père lui annonça qu’il ne lui restait plus que deux ans avant qu’il n’aille à la retraite. Par conséquent, la jeune fille n’avait plus le droit de s’éterniser sur le banc de l’école. Car la famille n’aurait plus les moyens de tenir le coup. La pénibilité de l’emploi d’Evouna lui interdisait tous autres travaux manuels après la cessation de son activité au sein de l’administration. Toutes ces longues années à courber l’échine pour débroussailler ces routes à l’aide d’une machette avaient fini par avoir raison de sa santé physique. Malgré toute la bonne volonté qui l’animait, il ne serait vraiment d’aucune aide réelle pour son épouse dans les champs. Ainsi, la famille aurait toutes les difficultés du monde à joindre les deux bouts avec sa modique pension. Eyui perçut cela comme une décharge d’électricité. Elle comprit qu’elle devait faire l’holocauste de ses rêves. Elle qui se voyait poursuivre des études de droit afin d’obtenir un doctorat et de finir avocate ou enseignante à la faculté. Elle aspirait à incarner pour les plus jeunes ce modèle de femme qu’elle-même n’avait jamais croisé. Malheureusement, la réalité lui offrait une autre destinée. Après le baccalauréat, elle devait trouver une formation qui lui garantissait un emploi immédiat. Ses parents avaient déjà tout pensé. Eyui ira soit à l’école des instructrices soit à l’école de santé pour finir infirmière. Selon eux, ces deux profils lui garantissaient un emploi au sortir de sa formation. Ainsi, grâce à son salaire, elle pourrait soulager ses parents. Eyui n’avait pas voix au chapitre. On lui donnait l’impression qu’elle n’avait aucune agentivité sur son avenir. Elle subissait simplement les desiderata sinon les desseins des siens. Ses parents aspiraient à vivre leurs rêves, leurs espérances à travers elle. Eyui était devenue en quelque sorte l’agneau sacrificiel de toute la famille. Elle accepta sa condition en se disant à son tour qu’elle vivrait ses rêves par l’intermédiaire des succès de ses cadets. Puis vint l’année de terminale qui ne fut pas sans difficulté pour Eyui. Tant bien que mal, elle obtint l’une des meilleures moyennes de son centre d’examen. Tous les enseignants et même le personnel administratif de son établissement étaient dithyrambiques à son sujet. Certains la conseillèrent à postuler dans des universités à l’étranger vu que ses notes le lui permettaient. Dommage, son avenir était déjà tout tracé. C’est alors qu’Eyui dut quitter Oyem pour Libreville dans le dessein de tenter le concours d’entrée à l’École Nationale des Instituteurs (ENI). Dotée de sa grande intelligence, elle le gagna haut la main. Une nouvelle page de sa vie allait maintenant s’écrire à la capitale loin de ses parents et des frères et sœurs comme tant d’enfants originaires de l’intérieur du pays. 

 

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N
Alors ça c'est de l'écriture. Ce récit tout simplement l'envie de connaître la suite, c'est captivant.
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